Par Nicolas Lefebvre Legault Les quartiers populaires sont sous tension. La pauvreté force 40 % des locataires à engouffrer au moins le tiers de leur revenu dans le logement. La pénurie, qui était généralisée au début (c’est-à-dire qu’elle touchait tous les types de logements), tend de plus en plus à se transformer en une pénurie de logements abordables. Malgré des besoins immenses, les autorités tergiversent et les logements sociaux promis sont livrés au compte-gouttes. C’est que les terrains se font rares et la compétition est féroce. Chaque fois qu’une bataille s’engage dans un quartier populaire pour un bout de terrain à construire, les pouvoirs publics opposent aux groupes communautaires le principe de la mixité sociale dans le but de les forcer à partager l’espace disponible avec des promoteurs de copropriétés (condos). Qui est contre la mixité sociale? L’argument est pratiquement imparable. Éviter les ghettos, mélanger les genres, les cultures, les styles de vie est louable, mais tel n’est pas ce qu’entendent les élites par mixité sociale. Les projets de coopératives d’habitation actuellement en cours garantissent déjà une certaine mixité sociale, ne serait-ce que parce que seulement la moitié des futurs locataires pourront bénéficier d’une subvention du gouvernement (comme dans un HLM). Non, quand les élites parlent de mixité sociale, elles parlent de mélanger les yuppies et les pauvres. De plus en plus de groupes communautaires tentent de retourner l’argument en faveur des locataires. Face à de grands projets immobiliers de luxe qui risquent d’accélérer radicalement des processus de gentrification déjà bien amorcés, plusieurs organismes utilisent l’argument de la mixité sociale pour revendiquer une place pour le logement social sur les sites de projets de condos. L’argumentation réussit souvent à ébranler promoteurs et élus, mais c’est une tactique de vaincu. Concrètement, cette tactique revient à quêter une place dans nos quartiers auprès de ceux et celles qui s’affairent à nous en déposséder. De plus, cette posture mine les chances de ceux et celles qui, dans le quartier d’à côté, s’opposent catégoriquement à de semblables projets de luxe et revendiquent exclusivement du logement social sur les sites visés. Tôt ou tard, les pouvoirs publics utiliseront les « belles victoires » obtenues dans le centre-ville gentrifié pour forcer l’acceptation d’un projet avec valeur sociale ajoutée dans un quartier populaire où la bataille n’était pas encore totalement perdue. Des organismes, aussi, adhèrent parfois à l’idée de mixité sociale dans l’espoir d’arriver à « revitaliser le milieu ». Dans ce cas, le discours cache un renoncement. Plutôt que d’aider les gens à améliorer leur conditions socioéconomiques, certaines élites « communautaires » préfèrent importer des mieux nantis, des propriétaires de condos, dans l’espoir que ces derniers « donnent l’exemple » à leurs concitoyens plus pauvres. C’est, à peu de choses près, ce que disait Jean Rouleau, coordonnateur du Collectif en aménagement urbain d’Hochelaga-Maisonneuve (CAUHM), dans Le Devoir (11 octobre 2003) : « Un modèle de gens qui ont réussi, c’est positif et ça amène les plus pauvres à vouloir eux aussi réussir. [...] Quand les gens sont pauvres et sous-scolarisés, dans des familles monoparentales, l’homogénéité est négative. Ce n’est pas normal que des enfants grandissent dans un endroit qui ressemble à une zone bombardée. Nous voulons rétablir une sorte d’équilibre, nous pensons à l’ascension sociale des gens. Ceux qui croient que nous “gentrifions” à outrance ne réfléchissent pas à long terme. » À l’image des colonisateurs d’autrefois, les riches auraient une mission civilisatrice dans les quartiers populaires : sortir les locataires de leur « culture de pauvreté ». Le problème, c’est que la mixité sociale n’existe pas. Elle n’est en fait qu’un moment de transition plus ou moins long dans la vie d’un quartier. Laissé à lui-même, le marché favorise systématiquement les riches et tend à la ségrégation spatiale, notamment en fonction du revenu. Les nouveaux propriétaires de condos ayant par définition plus de moyens que les autres résidants, ce sont leurs besoins, leurs goûts, leur culture, même s’ils sont minoritaires, qui à terme façonneront le quartier. Favoriser la mixité sociale dans des quartiers populaires est criminel, cela équivaut à planifier la marginalisation des classes populaires et de leur culture dans ce qui était jusqu’à hier leur quartier. Parlez-en aux anciens résidants du Plateau ou aux victimes de reprises de logement dans le Vieux-Rosemont, à Montréal. == Extrait du numéro d'été 2004 du journal l'Infobourg.

Éditorial : La mixité sociale est un leurre