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Neuf étages... trop haut? Coopératives... sauvegarde d’un quartier? Justice sociale... quelles futures luttes? Saint-Jean-Baptiste se cherche… Par Malcolm Reid Début février, 2012 Saint-Jean-Baptiste est un endroit très spécial. C’est le quartier qui a prouvé, je pense, que Québec n’était pas la ville dull et provinciale que les autres villes croyaient qu’elle était. C’est une ville de la Révolution tranquille, abritant l’explosion politique et artistique qui caractérisait cette phase du Québec. Le faubourg Saint-Jean a commencé à montrer ce visage vers 1975 et n’a pas démenti sa version des choses depuis. Dans les tableaux de Bill Vincent et de John Cisco, on le voit comme il est, avec ses bars folk et ses vieilles maisons retapées. Et dans les photos d’Annie Lalande, on voit les jeunes familles qui l’habitent, familles d’un, de deux, et même de trois enfants. Cette bohème à cent mètres de la colline Parlementaire est divisée aujourd’hui et l’histoire de cette division n’a pas été racontée. J’aimerais être le conteur de village qui la raconte. La bataille qui se livre peut s’avérer passagère. Mais je crains qu’elle fasse date : un riche mouvement populaire, bâti au cours de trente ans, et solide jusqu’à avant-hier, pourrait éclater. J’espère que non, mais mieux vaut regarder les signes, et les regarder à temps pour faire des réparations. C’est que ce quartier, comme tout le Québec urbain, fait l’objet de spéculation immobilière. Une carte imaginative de Saint-Jean-Baptiste, dessinée par Malcom Reid. Cliquez sur l'image pour agrandir.
L’îlot Il y a un terrain que je regardais tous les matins quand, dans ma trentaine, je prenais mon café à un vieux restaurant du coin, Chez Bernier. Une compagnie du nom de GM Développement vient d’acheter ce terrain, et de planifier un édifice à condos de luxe dessus. Mais cette entreprise connaît le quartier et connaît la force de ses mouvements populaires, de ses mouvements de citoyens, de sa gauche. Alors elle a été ouverte à la proposition de la conseillère municipale de la mettre en contact avec le Comité populaire Saint-Jean-Baptiste pour des négociations. « Nous, me dit Nicolas Lefebvre-Legault, un permanent du Comité populaire, on avait une coopérative d’habitation qui était en formation. Elle cherchait un emplacement, et les terrains commençaient à se faire rares dans le quartier. » Saint-Jean-Baptiste doit son mouvement populaire à des luttes pour des coops d’habitation. Vers 1975, la moitié de ma rue, la rue Saint-Gabriel, était à la veille d’être démolie par la Ville : une autoroute allait s’y installer. Les résidants se sont formés en coops et ont stoppé la démolition. Ensuite, des coops se sont installées sur la rue d’Aiguillon, ensuite sur Richelieu, ensuite sur Prévost. Enfin, en 2011, la plus grande coop de notre quartier a ouvert ses portes : la grandiose coopérative L’Escalier, sur René-Lévesque. C’est là qu’habite Nicolas, c’est là que lui et sa copine Nadia élèvent leurs deux filles. Les négociations entre le « ComPop » et l’entrepreneur se sont avérées fructueuses « À l’interne, dit Nicolas, on s’est posé la question : Avons-nous un rapport de force suffisant pour arrêter le projet complètement? On a vu que non. À partir de ce moment, nous avons cherché à savoir lesquelles de nos idées pouvaient être acceptées par la compagnie et de quelle manière on pouvait obtenir un projet populaire et écologique. On a persuadé les gens de GM d’inclure notre coopérative pour vingt familles dans le projet et ainsi de favoriser la mixité des fonctions que nous prônons (au niveau de la rue Saint-Jean, il y aurait des commerces et des lieux publics), de faire des toits verts, des jardins et des gazons sur le haut de l’édifice et d’inclure du stationnement pour tous, copropriétaires et coopérateurs. » « Ils étaient d’accord, ajoute Nicolas, mais c’était donnant-donnant. » La concession demandée au mouvement populaire était d’accepter un édifice de neuf étages. Le zonage n’en permet que six. Cela ferait un immeuble haut dans la trame de Saint-Jean-Baptiste, qui n’a que quelques géants comme ça, parsemés parmi ses maisons du XIXe et du début XXe. « Le projet semblait aller de l’avant avec ou sans nous. Alors on s’est dit : « C’est pas parfait, c’est un compromis, mais ça permet du logement coopératif sur le site. Et on a accepté le compromis. » Dès lors, les gens de la coopérative, baptisée La Face cachée, se sont mis à compter sur le ComPop pour les mener à bon port. Pendant l’année de préparatifs, la question a été discutée dans le Comité populaire et dans son journal L’Infobourg. La majorité a accepté la logique de Nicolas et du principal négociateur du Comité, Mathieu Houle Courcelles. Ces deux jeunes hommes sont la relève du leadership de gauche dans notre quartier. Tous deux sont fils de militants de causes populaires à Montréal et à Québec. Nicolas est de philosophie libertaire, anarchiste, mais en tant qu’organisateur communautaire, il est un homme pragmatique. À l’intérieur du Comité, cependant, le débat a été houleux. Marc Boutin, un des fondateurs du Comité, a tranché dès qu’il a vu le chiffre de neuf étages : « C’est ahurissant! C’est pas intégré à l’échelle du quartier, c’est pas convivial, c’est pas beau! » Pendant 25 ans, Marc a été la voix de ce Comité dans ses points de presse et ses manifestations. Il est devenu père et grand-père dans le Faubourg. Il a perdu des batailles, il a gagné des batailles. Il a mis de l’eau dans son vin parfois, il s’est montré intransigeant d’autres fois. Il a aussi écrit dans le journal des causes populaires Droit de parole. Architecte et docteur en géographie, il a des racines philosophiques plus marxistes et sartriennes, mais lui aussi est imprégné de pragmatisme. Souvent, il fait un dessin d’architecte dans une campagne pour montrer comment il voudrait que la ville se construise. Leader, majoritaire le plus souvent, il se retrouvait cette fois dissident dans le dossier de la coopérative La face cachée. Il était appuyé par son camarade Gilles Simard, auteur de la récente autobiographie Le coeur enveloppé. Il était appuyé par Bernard Grondin, grand conteur populaire de Saint-Jean-Baptiste, conteur traditionnel et habitant de coop. Tous étaient ahuris par la perspective d’un gros bloc montant dans l’air sur le terrain, baptisé îlot Irving à cause d’une station de gaz qui y était située à une autre époque. Se dressant là, coupant la vue sur les grands couchers du soleil de Saint-Jean-Baptiste, mauves et roses : « N’oublions pas, notre mouvement n’a jamais été uniquement pour l’habitation sociale. Le respect de l’échelle de nos quartiers, de leurs traditions, de leur beauté, a toujours été là », disait Marc. Mais ne pouvant pas persuader les autres, ne trouvant pas de projet mitoyen entre les deux options, il s’est plié à la majorité. Le mouvement des citoyens vivait un gros split. Et puis... Et puis, un jour de décembre, des affiches sont apparues sur les poteaux de Saint-Jean-Baptiste : « Voici ce qui va venir s’implanter dans notre quartier. » Un dessin par-dessus une photo montrait une grosse plaque bloquant la vue sur les Laurentides que l’îlot avait toujours offerte. « Nous disons NON ». Les affiches venaient d’un groupe anonyme et spontané, animé disait-on par un dentiste du coin de l’îlot Irving, un groupe inconnu de Marc, et inconnu du Comité populaire. Les citoyens ont réagi immédiatement. L’édifice compromis est devenu un enjeu chaud. Soudain, Marc et Gilles ont vu leur option retrouver des chances de l’emporter. Ils ont signé le registre de la Ville de Québec ouvert par ces nouveaux protestataires pour demander un référendum sur la question. Et bientôt, le référendum était octroyé. Une campagne a fait rage. Marc a publié un numéro de Droit de parole où les objections à l’édifice étaient en vedette, et la place de la coopérative dans le projet était minimisée. L’Infobourg a publié un numéro où les deux options avaient leur plaidoyer. Mais le « oui » au projet était néanmoins la position officielle du Comité. Vint le vote Le vote approchait, Marc agissait comme le conseiller en chef au porte-parole officiel des forces du non, Louis Doyle, un fonctionnaire provincial. Louis et sa femme Lucie sont résidants du secteur depuis de longues années et citoyens actifs. Et puis arrive le vote, le dimanche 5 février 2012, à l’auditorium de l’école secondaire Joseph-François Perrault (une école ouverte par Jean Lesage au début de la Révolution tranquille, l’école où notre fille a étudié). Seuls 4 000 résidants de Saint-Jean-Baptiste avaient le droit de voter. La question sur le bulletin de vote était une façon très compliquée de dire : « Acceptez-vous de changer le zonage? » Moi, j’avais de chaudes amitiés des deux côtés de la controverse, j’étais sensible aux arguments des deux camps, je ne savais pas comment voter. J’ai décidé d’écrire ma façon de penser sur mon bulletin : « Je veux que la coopérative survive. Je veux un édifice de modeste taille. Les deux! » J’ai décidé de cocher les deux cases, et ainsi d’annuler mon vote. De m’abstenir. M’abstenir tout en sachant que ce que je désire est probablement ce que beaucoup de gens du faubourg désirent. Notre centre-ville vit l’éclatement des choses dans le Québec de 2012. Il le vit intensément. Notre député adorée, Agnès Maltais du Parti Québécois, est beaucoup moins adorée dans le voisinage depuis qu’elle a décidé d’épauler le maire Labeaume dans son désir de construire un amphithéâtre avec Pierre-Karl Péladeau, sans avoir à faire face aux contestations. Labeaume appuie le projet de GM Développement aussi, et son appui – je le sens! – a nui à la cause du oui. Notre députée fédérale, Christiane Gagnon du Bloc Québécois, celle qui nous donnait le sentiment pendant vingt ans d’être une forteresse contre Harper et contre la montée du conservatisme québécois, a été battue en mai. L’éclatement du Bloc Québécois est près de nous, et l’éclatement du Parti Québécois l’est aussi. Serge Roy, de Québec Solidaire, espère être élu la prochaine fois, et le sera peut-être. Notre nouvelle députée à Ottawa est la néo-démocrate Annick Papillon, une jeune d’un grand potentiel. Mais elle ne connaît pas beaucoup les mouvements de gauche de la ville, et n’a pas encore appris à être leur voix. Ce que nous vivons autour de cet îlot et autour de l’édifice qui s’y construira fait-il partie de l’éclatement des choses? Notre Comité populaire se désagrège-t-il? Marc et Nicolas disent que non. Mais je sens peut-être que oui. Cela me fait frissonner. Avec une victoire du «oui», le grand édifice, et donc la coopérative, aurait été construit. Mais le mouvement populaire serait resté divisé et aurait eu à faire de grands efforts pour retrouver sa force, son influence dans la population. Avec une victoire du «non», l’édifice de neuf étages serait stoppé. On suppose que GM construirait alors un bloc de condos quand même, dans les normes, et sans la coop. Mais dans le mouvement populaire, la division resterait. Encore plus. Alors, le dimanche soir, dans le vestibule de l’école Joseph-François Perrault, le résultat est lu : « Le «non» l’emporte, 777 à 666 ». Le neuf étages ne se fera pas, et la coopérative La Face Cachée cherche toujours un toit. Le lendemain, la défaite du grand projet est attribuée par le maire Labeaume « aux vieux militants ». Et le jour d’après, le caricaturiste du Soleil, Côté, dessine ces vieux militants. Ils sont dans leur local, avec des portraits de Michel Chartrand, David Suzuki, John Lennon et Yoko Ono sur les murs. Un gars qui ressemble, un peu, à mon ami Marc Boutin leur dit : « Nous avons sauvé un vieux stationnement qui pue! » Et un mouvement communautaire de longue tradition cherche à se rebâtir. == Extrait du numéro du printemps 2012 du journal l'Infobourg