Par Pascaline Lamare
Photo: Pascaline Lamare

Avez-vous remarqué que certains aménagements urbains s’ornent depuis quelques temps de laine ou de broderies? Derrière ces oeuvres, réalisées par le collectif Les sorcières d’à côté, des messages plus politiques qu’il n’y paraît.

Elles pratiquent le tricot-graffiti (aussi connu sous le nom de tricotag ou yarn bombing en anglais). Cette forme d’art urbain utilise le tricot, le crochet, le petit point ou le point de croix pour faire passer des messages politiques, voire subversifs. En recouvrant le mobilier urbain de fils, elles investissent l’espace public pour le rendre plus beau et lui faire dire bien des choses. Car notre quartier a bien des choses à dire et ne s’exprime pas juste en les écrivant sur des murs!

Leurs installations ont en commun la volonté de faire passer un discours émancipateur en marquant l’espace urbain. Le mystère et l’anonymat du collectif visent à permettre la prise de parole dans l’espace public, sur des enjeux qui touchent les femmes, les personnes queer, la sexualité et les rapports de pouvoir qui en découlent. La douceur des fils de laine appuie un message que d’autres taguent sur les murs du faubourg. Le fait que les installations soient non permanentes et puissent disparaître d’un coup de ciseau et qu’elles n’endommagent pas les murs ou le mobilier urbain suscite des réactions globalement plus positives que les graffitis, aussi poétiques soient-ils.

Depuis l’été, une quinzaine de pièces ont été installées dans le quartier. Certaines sont encore là, d’autres ont disparu. Le message transmis est ouvertement politique, anticapitaliste, féministe, queer. Et quand elles n’arborent pas de messages, les oeuvres tricotées ou brodées sur les poteaux véhiculent un message de réappropriation de l’espace urbain.

« L’un des objectifs est d’habiller les lieux publics en les rendant moins impersonnels, en les humanisant et en suscitant la réaction des passants », nous dit une des membres du collectif, qui ajoute qu’il s’agit d’occuper et de s’approprier les lieux. « Dans le quartier, beaucoup de choses se font sans notre consentement citoyen. On peut agir sur notre quartier, l’enjoliver. Ça ajoute de la couleur, fait sourire les gens, même si c’est pas juste le but. »

Tricoter l’espace urbain, c’est aussi une façon de (re)tisser des liens humains. Les réactions au tricot-graffiti sont le plus souvent positives. Cet hiver, une personne a même laissé un petit mot à côté d’une oeuvre pour prendre contact avec elles. Les arts textiles ont ceci de particulier qu’ils rejoignent des personnes de tous âges et de tous milieux et qu’ils valorisent un savoir-faire qui peut s’exercer en groupe. Les sorcières aimeraient que n’importe qui se sente à l’aise de participer (contactez-les via leur page Facebook!) Avec peut-être l’objectif de créer une petite communauté politiquement tissée serrée... Pour les sorcières, il est important que cette pratique soit accessible. S’équiper n’est pas toujours à la portée de tout le monde, d’autant plus que le tricot semble revenir à la mode; aussi, elles n’hésitent pas à partager du matériel aux personnes qui débutent, en plus de leur expérience et de leur technique.

Broder et tricoter dans l’espace public, c’est non seulement une façon de se réapproprier une pratique souvent considérée comme inférieure, mais également de sortir les travaux d’aiguille de l’espace intime des maisons et de le valoriser en tant que pratique artistique. Difficile de ne pas esquisser un sourire en découvrant ça et là les messages que nous laissent Les sorcières d’à côté, puis de réfléchir à la façon dont nous habitons notre quartier... Alors, quand est-ce qu’on décore notre ville?

Pour en savoir plus: https://www.facebook.com/cestdefamille

Les sorcières d’à côté - revendiquer la ville, une maille à la fois