Par Pascaline Lamare La deuxième Université populaire de l’automne s’est penchée sur les dynamiques de gentrification dans les quartiers centraux, depuis 1971, en particulier dans Saint-Jean-Baptiste. Animé par Louis-Pierre Beaudry, doctorant en sociologie à l’Université Laval, l’atelier a permis d’analyser le phénomène sous un angle moins connu : celui des statistiques. La gentrification est un problème social, qui menace les quartiers moins favorisés. On en parle beaucoup, on remarque les immeubles haut de gamme et les boutiques fancy qui ouvrent dans un quartier, pointant ainsi du doigt des coupables individuels. Mais cet atelier nous aura permis de réaliser qu’il s’agit avant tout d’un problème de société, basé sur des inégalités sociales qui persistent et sur le développement de la ville laissé aux intérêts privés. Traditionnellement, on associe la gentrification à un déplacement des personnes défavorisées vers une périphérie, à des hausses de loyer rapides, à l’apparition de commerces haut de gamme, aux constructions de condos, aux conversions d’appartements en condos et au phénomène qui porte désormais le nom de « rénoviction » (quand un propriétaire évince ses locataires en effectuant des rénovations afin d’augmenter les loyers). La gentrification, c’est surtout l’augmentation du statut socioéconomique des personnes qui habitent ou fréquentent un secteur ou un quartier peu favorisé, ceci amenant une augmentation des inégalités sociales dans un quartier. Louis-Pierre Baudry étudie la gentrification à l’aide des statistiques, notamment des recensements de population. Cela permet de s’appuyer sur trois variables documentées sur le long terme (le revenu annuel moyen par personne, le taux de diplômés universitaires et le taux de personnes qui ont un emploi professionnel) pour décrire le phénomène dans le faubourg, qu’il découpe en trois phases. L’ère pionnière (1971 à 1986), celle de la rénovation urbaine, est marquée par le déclin démographique du centre-ville. En 1971, tous les secteurs les plus pauvres de Québec sont dans les quartiers centraux, délaissés par ceux qui peuvent se permettre de vivre le rêve de la banlieue. Les grands projets de réaménagement vont modifier considérablement le visage du faubourg. On constate une hausse rapide et importante du nombre d’artistes et d’universitaires (des «gentrificateurs marginaux»), sans toutefois que les revenus augmentent. Entre 1986 et 2006, le centre-ville est marqué par des projets de rénovation majeurs (Jardins Saint-Roch, rue Saint-Joseph, rivière Saint- Charles), et Saint-Jean-Baptiste est laissé de côté au profit de Saint-Roch, voué à devenir le nouveau centre-ville. Les artistes migrent vers la basse- ville, où se développe un terreau favorable avec la Coop Méduse et l’École d’arts de l’Université Laval. Les universitaires suivent, avec l’installation d’institutions de savoir, et les professionnels également, grâce aux entreprises des technologies de l’information qui sont activement subventionnées. Et si la gentrification ralentit pour un temps dans le quartier, elle reprend de plus belle entre 1996 et 2006. Nous sommes entrés depuis 2006 dans la troisième phase de la gentrification des quartiers centraux de Québec. La fin des programmes de subvention aux entreprises, le transfert des constructions de logement vers le privé et l’explosion du tourisme modifient le visage de la ville. La gentrification est massive et intense en basse-ville. Mais, de manière contre-intuitive, la haute-ville ne suit pas le modèle établi. Le faubourg Saint-Jean ne montre pas de signes de gentrification comme en basse-ville. Ceci ne veut pas dire qu’il n’y a pas de sources de tension, comme AirBnb. Mais, par exemple, le taux de propriétaires n’augmente pas, les revenus demeurent stables, et le taux de faible revenu dans le quartier n’a pas beaucoup bougé. Les jeunes sont également surreprésentés par rapport à d’autres quartiers. Héritage des luttes et politiques des années 1970 et 1980, l’importance du logement social dans le quartier (notamment les coops) pourrait expliquer cette stabilité relative. Un argument supplémentaire, s’il en fallait, pour militer en faveur du logement social comme facteur de réduction des inégalités.

SOIRÉE DE L’UPOP : LA GENTRIFICATION DANS SAINT-JEAN-BAPTISTE