Entrevue avec Héloïse Rinfret-Pilon. Par Marianne Garnier, chargée de projet pour Sauve ta bouffe Je ne sais pas pour vous, mais lorsque je lis sur les fermentations, ça m’apparait un peu compliqué ! Toutefois, sachant à quel point c’est une bonne méthode de conservation et connaissant les multiples propriétés des fermentations, il serait dommage de se buter à cette première difficulté. C’est pourquoi j’ai voulu mettre tout ça au clair en questionnant une diététiste-nutritionniste qui a fait des fermentations sa spécialité! Entrevue avec Héloïse Rinfret-Pilon. Question : Bonjour Héloïse ! D’entrée de jeu, quels sont les principes de la fermentation/lactofermentation ? En fait, le but est de reproduire la mer salée à une époque géologique très ancienne, lorsque les formes de vie n’étaient que bactéries. Pour cela, il faut une formule d’eau salée (saumure), gardée à une température pièce, avec une couche de gaz carbonique. Cette saumure remplace la mer, elle contient entre 1,5 % et 5 % de sel. Le sel contenu dans la saumure attire les bactéries à la surface des légumes. Les bactéries prolifèrent en dégradant les membranes (fibres). Il y a entre 30 et 160 espèces de bactéries dans un légume fermenté. Après quelques jours de dégradation, la production de gaz carbonique ralentit et la prolifération des différentes sortes de bactéries bénéfiques se stabilise. Une fois l’équilibre atteint, l’acidité n’augmente plus et les légumes peuvent se conserver indéfiniment. Wow! Et cette eau salée, on la fait de quelle façon ? Pour un 1 litre d’eau (4 tasses), on verse entre 15 grammes (1 cuillère à soupe) et 50 grammes (3 cuillères à soupe) de gros sel. Ce sont les mesures utilisées, autant dans les méthodes industrielles comme la choucroute commerciale que dans les méthodes artisanales. Il vaut mieux utiliser du sel de mer. Le sel de table est à éviter car l’iode qu’il contient est un agent antibactérien. Si on aime le goût du sel, il est préférable d’y aller avec 3 cuillères à soupe. L’important, c’est de rester dans les mesures. S’il y a trop de sel, les bactéries lactiques ne pourront pas proliférer. Aussi, les aliments doivent être entièrement recouverts d’eau salée. Autrement, des petites moisissures filmogènes peuvent apparaître à la surface de la saumure. Elles ressemblent à de petits flocons blancs. Toutefois, ces moisissures ne sont pas dangereuses! Il n’y a pas de risque d’intoxication. C’est seulement qu’elles ont un goût qui n’est pas recherché. Si ça arrive, ce que je conseille, c’est simplement d’enlever un pouce d’épaisseur à la surface et de rajouter un peu d’eau si nécessaire. Et pour l’eau, on utilise celle du lavabo ? Oui. Par contre, vaut mieux la laisser reposer quelques heures à l’air libre sur le comptoir afin que le chlore puisse s’évaporer. Ou encore, on peut la faire bouillir et attendre qu’elle retrouve la température de la pièce. Faut-il utiliser du matériel spécial pour faire des fermentations ? Je vois que tu utilises des bocaux Mason... On peut récupérer des bocaux en vitre du commerce ou utiliser des bocaux Bernardin/Mason. L’important est de vérifier l’intérieur du couvercle et s’assurer qu’il est en bon état et qu’il n’a pas de taches de rouille. Mais attention, il est nécessaire de libérer de temps à autre la pression causée par le gaz carbonique, sinon le bocal pourrait exploser! Le plus simple, c’est d’utiliser des bocaux en verre avec une membrane en caoutchouc et un ressort métallique. La pression interne reste alors constante. Aucune précaution à prendre. Comment on fait pour savoir que la fermentation est prête ? C’est simple, tu goûtes. Toutefois, on attend au moins 3 jours pour une fermentation intéressante. Ça peut aller jusqu’à plusieurs semaines. Lorsque le légume a atteint un goût et une texture qui plaisent, on place le bocal dans le frigo ou un caveau. Sous les 15 degrés Celsius, les bactéries tombent généralement en dormance. Quels sont les aliments qui se fermentent bien ? À peu près tous les légumes et fruits frais, qui ne présentent pas de moisissures. On les lave et on peut les éplucher grossièrement. Je conseille des légumes comme le chou, la carotte, le navet, l’aubergine, la betterave, le céleri-rave, le daïkon, le poireau, l’ail, la tête de violon bouillie. On peut utiliser des légumes cuits, mais il faut alors en faire un mélange avec des légumes crus. Il faut s’amuser à faire des tests! Pour ce qui est des légumes dont la chair est molle, vaut mieux les couper en gros morceaux et les légumes à chair plus solide (comme les légumes racines), on peut les couper en plus petits morceaux, en faire des juliennes et même les râper. Si les fermentations deviennent trop molles à votre goût, vous pouvez toujours en faire une purée! J’imagine qu’il y a des règles d’hygiène à respecter. Est-ce qu’on doit faire bouillir les pots et tout le matériel utilisé ? Non, il suffit de bien nettoyer la zone de travail, les ustensiles et les bocaux avec de l’eau et du savon (éviter les savons antimicrobiens !), de bien rincer et de laisser sécher à l’air libre. Cependant, lorsque les fermentations sont prêtes et qu’on se sert directement dans le pot, il faut utiliser un ustensile propre, jamais les doigts et jamais un ustensile qui a été mis dans la bouche. C’est effectivement beaucoup plus simple que je ne le croyais ! Pour terminer, Héloïse, qu’aimerais-tu dire aux gens qui s’intéressent aux fermentations ? Bien que c’est presque révolutionnaire ! Ce sont des savoirs qui se sont perdus en Occident et que l’on doit réintégrer. Non seulement parce qu’elles permettent de conserver les aliments très longtemps et de façon sécuritaire mais surtout parce qu’elles nourrissent merveilleusement bien notre microbiote! Nous savons maintenant que plusieurs maladies seraient liées à un microbiote trop peu diversifié. C’est pourquoi en tant que diététiste-nutritionniste soucieuse de l’environnement, je mise beaucoup à faire connaitre les fermentations !

L’abc des fermentations