Par Pascaline Lamare Photo : Pascaline Lamare C’est lors de l’Université populaire de mai que Laurence Simard nous a parlé de l’intersectionnalité, un outil conceptuel permettant d’appréhender concrètement la situation des personnes subissant simultanément plusieurs formes de stratification, de domination ou de discrimination dans une société. Cette approche a pour avantage de s’ancrer dans le vécu concret des personnes discriminées, et de partir de leur réalité pour mettre en lumière la façon dont les différences de traitement sont structurées dans des systèmes et des dynamiques d’oppression. Ce faisant, on peut ainsi mieux comprendre la complexité des situations d’oppression et prendre conscience qu’une solution à un problème peut en fait contribuer à en masquer beaucoup d’autres. La philosophe américaine et théoricienne féministe radicale Marilyn Frye utilise à ce sujet la métaphore de la cage d’oiseau : quand on se concentre sur un des barreaux de la cage (une difficulté), cela ne semble pas insurmontable. Mais quand on voit l’image d’ensemble, on se rend compte que sortir de la cage sera beaucoup plus difficile. Penser en termes d’intersectionnalité, c’est réfléchir au vécu des personnes comme à un carrefour, où se rencontrent plusieurs rapports de pouvoir dans une même expérience. Par exemple, on peut penser aux inégalités environnementales, qui touchent beaucoup plus durement les personnes pauvres ou celles qui ont des problèmes de santé. Les premiers à mourir lors des canicules ne sont pas ceux qui ont les moyens de se mettre au frais ou qui maîtrisent les stratégies pour prendre soin de soi... On comprend ainsi que l’intersectionnalité remet en cause le mythe de l’égalité des chances : on ne naît pas toutes et tous égaux et nos environnements sociaux, économiques, politiques ont une énorme influence sur les possibilités qui s’offrent à chacun. Cette Université populaire, offerte sous forme d’atelier, a permis aux participants et participantes de mettre le concept en pratique. En leur demandant de se définir en quelques mots-clés, la conférencière a pu mettre en lumière qu’il n’y a pas d’identité neutre, et qu’on se définit toujours par rapport aux normes dominantes de l’homme, blanc, de classe moyenne à supérieure, dont les capacités physiques, mentales et émotives sont jugées normales, de tradition judéo-chrétienne, plus ou moins pratiquant et apparemment cisgenre*. Ce fut aussi l’occasion de mettre en avant le fait que l’identité sociale est également une affaire de contexte, et que la façon dont on se définit à un moment donné peut différer de la façon dont on se définira quelques années plus tard. L’intersectionnalité nous apprend à être attentif au contexte. Nos identités sont multiples, et on les vit de façon simultanée. Certaines ont plus d’impacts à certains moments que d’autres. Enfin, le concept d’intersectionnalité permet d’agir en bon allié même si l’on est dans une situation où les rapports sociaux sont à notre avantage. En ayant une ouverture au vécu des autres, à leur parole, en nous apprenant à écouter et à ne pas être sur la défensive lorsque l’autre remet nos perceptions en cause, on peut bâtir des solidarités et vivre dans des collectivités plus justes et plus fortes. Et tout le monde y gagne. *Se dit d’une personne lorsque son genre (comment elle se définit) correspond au sexe assigné à la naissance.

L’INTERSECTIONNALITÉ, POUR DES LUTTES QUI N’OUBLIENT PERSONNE