Par Julie Martineau

Photo : Michaël Pineault

En 2001, j’étais étudiante à l’Université Laval et j’habitais le centre-ville de Québec. Mon cercle d’ami·e·s était composé de personnes qui, comme moi, étaient engagées. D’aucun dirait que nous étions des militant·e·s « de gauche ».

Lorsque que les trente-quatre chefs d’États des Amériques (à l’exception de Cuba) se sont invités chez nous pour conclure un accord de libre-échange, la ZLÉA, nous avons vite réalisé qu’un événement déterminant pour l’avenir allait avoir lieu. Cet accord international, une fois conclu, aurait pour effet de libéraliser l’économie à l’échelle du continent.

En fait, il s’agissait d’abolir tous les obstacles aux activités des entreprises. Ainsi, elles pourraient exploiter des ressources, manufacturer des produits et distribuer des marchandises où bon leur semblerait, sans que les frontières nationales ou les pouvoirs publics ne puissent contenir leur désir de profits. La ZLÉA viendrait confirmer le désen- gagement des États dans l’économie et mettre en compé- tition les communautés qui vivent sur les territoires qui s’étendent du Grand Nord jusqu’à la Terre de feu.

Pour éviter que cela ne se produise, des groupes militants et citoyen·ne·s des Amériques convergeraient vers Québec avec l’intention de perturber la tenue du Sommet et de manifester haut et fort leur opposition à la signature d’une telle entente.

En tant que résident·e·s de la ville, nous avions bien l’intention de nous joindre au mouvement mais il nous in- combait également de prévoir la venue de toutes ces personnes. Il faudrait les accueillir, répondre à leurs questions et proposer des solutions à leurs problèmes logistiques. Notre engagement à contrer la ZLÉA devrait se manifester de cette manière et c’est ce que nous avons fait, nous, les militant·e·s « altermondialistes » de la ville de Québec. Au cours de l’année qui a précédé la tenue du Sommet, différents groupes affinitaires se sont formés, se sont mobilisés et se sont coalisés.

Celui auquel j’ai participé s’appelait le Comité d’accueil du Sommet des Amériques (la CASA), un groupe anticapitaliste qui fonctionnait d’après les principes de la démocratie di- recte et du respect de la diversité des tactiques. C’était un groupe formé de quelques dizaines de résident·e·s de la ville, de travailleur·se·s, ainsi que de personnes issues des mouvements étudiants et des milieux communautaires. Ensemble, nous avons cherché et recueilli de l’argent. Nous avons identifié des lieux d’hébergement dans les institutions scolaires, dans les centres communautaires et chez des habitant·e·s de la ville. Nous avons glané des denrées alimentaires, organisé des cuisines collectives, cherché des entrepôts frigorifiques et loué des camionnettes pour transporter des centaines de chaudières de soupe et de chili. Nous nous sommes procurés du matériel de commu- nication (les téléphones cellulaires n’étaient pas encore démocratisés à l’époque), etc. Le moment venu, nous étions prêt·e·s à faire face à la situation.

Bien sûr, chacun·e à notre manière, nous avons aussi pris part aux actions de perturbation qui ont eu lieu au cours de la fin de semaine du 19 au 21 avril 2001. Bien sûr, je garde en mémoire des images très claires des grandes manifestations, des gaz lacrymogènes qui empoisonnaient l’air, du mur « de la honte » qui a été renversé, de la présence poli- cière partout, des hélicoptères qui survolaient la ville.

Mais aujourd’hui, vingt ans plus tard, le sentiment qui m’habite lorsque je pense au Sommet des Amériques est positif. J’y ai appris que l’égalitarisme, la solidarité et l’autogestion sont des principes d’organisation efficaces. J’y ai côtoyé des personnes extraordinaires pour lesquelles j’éprouve un profond respect et une grande admiration. D’ailleurs, mes camarades d’alors demeurent encore aujourd’hui des militant·e·s actif·ve·s dans leur milieu respectif. Enfin, j’y ai acquis la certitude qu’il est possible d’accomplir de grandes choses lorsque l’on est animé par la conviction que notre cause est juste.

Tout compte fait, nous célébrons aujourd’hui une victoire historique puisque grâce à la mobilisation citoyenne, la ZLÉA n’a jamais pu exister.

Regarder le passé avec les yeux du présent