Par Laurent Desjardins

En novembre dernier, le Québec connaissait des épisodes de grèves sans précédent dans son histoire.

Le nombre d’employé·e·s d’État qui étaient en grève durant ce mois a de quoi marquer les esprits: ce sont plus de 560 000 travailleurs et travailleuses qui ont utilisé le moyen de pression ultime pour se faire entendre auprès des décideurs publics. Si les grévistes représentaient un peu plus de 6 % de la population de la province, c’est bel et bien l’ensemble des Québécois.e.s qui étaient concerné·e·s, puisque toustes dépendent quotidiennement du travail de ces personnes. Ce sont entre autres des enseignant·e·s, des infirmier·ère·s, des travailleur·se·s sociaux, des chauffeur·se·s d’autobus, des concierges et des assistant.e.s de toutes sortes qui sont sorti·e·s dans les rues pour dénoncer des conditions de travail qui se détériorent.

Ces personnes ont réussi à se faire entendre. Mais derrière la couverture médiatique et la réponse gouvernementale qu’ont reçues ces travailleur.se.s se cache un enjeu social qui est resté dans l’ombre au cours de ces semaines de mobilisation.

et enjeu découle d’un problème assez simple : alors que les différents syndicats impliqués (CSN, CSQ, FTQ, APTS, FAE et FIQ) présentaient des revendications axées sur les conditions de travail, les réponses gouvernementales, généralement reprises par différents médias, focalisaient sur leurs demandes d’augmentation de salaire. Tout s’est passé comme si on tenait pour acquis que les revendications concernant les conditions de travail servaient en fait à dissimuler la véritable revendication : un pouvoir d’achat plus élevé.

Soit, un salaire décent est important. Mais cette revendication parmi tant d’autres a fait de l’ombre à toutes les autres qui concernaient notamment une meilleure conciliation famille-travail, un meilleur partage de la charge de travail, un rehaussement du financement des services publics, et une assurance retraite moins contraignante (pour ne nommer que celles-ci). Ces professionnel·le·s nous ont dit : « On veut de meilleures conditions de travail et de vie afin d’être en mesure de mieux vous servir », et on leur a répondu avec scepticisme : « Combien tu veux ? ».

On voit donc bien la problématique qui se cache derrière l’évènement de l’automne dernier: comment espère-t-on régler des problèmes liés à la qualité des institutions (de soin, d’enseignement, ou de services sociaux) quand on ramène toutes les critiques émises par les personnes directement impliquées dans ces institutions à une demande de cash? Le raisonnement capitaliste aurait donc effectivement colonisé des secteurs qui, il n’y a pas si longtemps, échappaient encore à cette logique.

Si nous devions retenir quelque chose de l’évènement de novembre 2023, c’est que ces personnes ont fait grève et sont sorties par centaines de milliers dans les rues de la province et ont crié leurs revendications non pas seulement pour elles-mêmes, mais aussi pour nous toustes. Ils et elles ont un point de vue privilégié sur l’état de nos institutions publiques et savent pertinemment qu’elles se détériorent. Si les enseignant·e·s ont fait grève, c’est pour les conditions d’apprentissage de nos enfants. Si les infirmières font grève, c’est pour nos conditions de soin. Si les travailleur·se·s sociales·aux font grève, c’est pour retisser notre filet social.

Le fait de ramener des enjeux sociaux au simplissime pouvoir d’achat ne pourra faire de nous, au mieux, que de riches et malades ignares.

Que restera-t-il de novembre 2023?