Par Andrée O’Neill

Ben oui, pourquoi?

« Pourquoi aimer l’un et manger l’autre ? » C’étaient les mots d’une publicité d’un organisme de défense des droits des animaux, vue dans un abribus il y a quelques années. Cette pub était composée de deux images superposées. « L’un », c’était un Golden Retriever aux yeux magnifiques, de ceux qu’on considère généralement comme un membre à part entière de notre famille, chéri, chouchouté, pleuré lorsqu’il quitte ce monde. « L’autre », c’était un représentant de l’espèce porcine, fournisseur de bacon et de côtelettes, être vivant dont le sort nous laisse le plus souvent indifférent·e·s.

Le spécisme, c’est en partie cela : accorder des qualités et des droits fondamentaux à certaines espèces tout en usant de certaines autres pour satisfaire des besoins pas toujours essentiels en divertissement, vêtements, plaisirs gastronomiques, etc.

Mais le spécisme, c’est principalement le fait de considérer l’être humain comme souverain et maître de la nature. Cette conception de l’univers, implantée dans nos esprits depuis des millénaires par les grandes religions monothéistes, a servi de prétexte non seulement au saccage des ressources de la planète — avec pour résultat concret la crise climatique actuelle — mais aussi à l’asservissement des femmes, des personnes racisées, des esclaves et, bien sûr, des animaux non humains : chiens, vaches, porcs, chats, poulets, animaux exotiques… L’antispécisme, à l’inverse, c’est le mouvement de celles et ceux qui n’en peuvent plus de ce schéma de pensée dominant.

On peut dire sans se tromper qu’à ce jour, ils et elles sont la plupart du temps déconsidéré·e·s par une majorité de leurs concitoyen·ne·s, comme l’ont été les suffragettes il y a plus d’un siècle, les anti-esclavagistes au 19e siècle, les militant·e·s de la lutte pour les droits civiques aux États-Unis dans les années 1950 et 1960, ou comme le sont encore aujourd’hui les militant·e·s pour les droits des personnes racisées et LGBTQ2s+. Pourtant, ce n’est pas d’hier qu’on prend position sur la conduite à adopter envers les autres espèces du règne animal, depuis les philosophes de la Grèce antique jusqu’aux activistes du mouvement de libération animale dans les années 1980.

Valéry Giroux ou qu’est-ce qu’être antispéciste

Parmi nos contemporain·e·s qui réfléchissent à ces questions, il y a Valéry Giroux, docteure en philosophie spécialisée en éthique animale et professeure à la faculté de droit de l’Université de Montréal qui, dans L’antispécisme, dresse un état des lieux du mouvement. Elle en explore les concepts essentiels (notamment la sentience et la discrimination) et les diverses formes (relative ou modérée, pure ou attributive, absolue ou relative).

Elle en examine les conséquences sociales, politiques et juridiques, en premier lieu celles qu’aurait « l’extension de l’égalité morale à tous les êtres sentients ».

Elle se penche enfin sur les débats entre antispécistes (par exemple entre les abolitionnistes, qui rejettent toute forme d’exploitation des animaux non humains, et les welfaristes, qui cherchent plutôt à améliorer leur bien-être).

Aymeric Caron ou pourquoi être antispéciste

Avec Antispéciste, Aymeric Caron, journaliste, écrivain et chroniqueur (aux propos par ailleurs souvent controversés sur d’autres sujets), fait appel à notre sensibilité. Il nous incite à soulever nos consciences, à rêver à un monde où tous les êtres vivants auraient une valeur intrinsèque et seraient vus comme des fins et non des moyens, comme des sujets et non des objets.

Il fait état des avancées de la biologie, de la psychologie de l’éthnologie et du droit, qui ne laissent plus de doute sur la capacité des animaux non humains à ressentir le plaisir, la douleur, le chagrin, autrement dit leur sentience.

Il décrit aussi l’élargissement de la sphère de considération morale des êtres vivants qui s’est opérée depuis l’Antiquité. Réservée d’abord aux hommes blancs et grecs, cette considération a peu à peu intégré les étrangers, les esclaves, les femmes et les personnes LGBTQ2s. Les animaux non humains, dernier bastion de la résistance à l’égalité entre les êtres, n’y sont pas encore.

Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Ne pas savoir qu’ils sont si proches de nous, c’est surtout ne pas vouloir savoir.

Aymeric Caron, Antispéciste, Don Quichotte éditions, 2016.
Valéry Giroux, L’antispécisme, P.U.F, collection Que Sais-je ?,
2020.

Pourquoi aimer l'un et manger l'autre ?