Par Charles Beaudoin-Jobin

Photo : Charles Beaudoin-Jobin

Ils sont là, en apparence banale, eux qui pourtant nous permettent de se poser et d’observer, de méditer, de ralentir, pour un regard, pour penser les gens, ces inconnus qui s’y arrêtent, aux errements, aux fuites, aux simples salutations, aux échanges d’un sourire, ou aux histoires

de rencontres qui traversent la durée, aux discussions autour d’une bière ou d’un café, aux amoureux enlacés,
ou à la solitude des mourants des villes, à l’anonymat des passants, à la flânerie et à ce qu’elle offre de vie vraie sur le temps, aux moments d’arrêt en nos vies si frénétiques...

Ils racontent le rythme de nos sociétés, aux forces d’accélération, d’efficacité,
productivité, et de surconsommation.
Ce temps fou qui s’impose à nous.

Ils sont aussi et surtout cette poétique de la ville, à la
fois émouvante et « futile », le mobilier urbain que bien souvent personne ne remarque, ou que d’autres voient plutôt comme une halte nécessaire, un point d’observation sur le monde, un ancrage dans le réel, un repère, ou encore un refuge connu pour s’arrêter, pour reprendre son souffle, pour lire, écrire ou penser.

Ils sont la beauté des lignes de fuite, où l’on contemple, où l’on ralentit, où l’on se permet de rêvasser. Là où de petites ou grandes histoires naissent, se tissent et s’entremêlent, des récits en témoignages comme autant d’échos en résonance. Je repense à ce témoignage si émouvant qui fut jadis pour moi une véritable révélation. « Le jour où j’ai cessé de dire dépêche-toi... » .

Les bancs publics ce sont ces trames de la vie quotidienne. Celles qui parlent de nous. L’enfance intriguée qui s’y pose, intriguée et qui se joue du temps. La vieillesse dans ses années en rides, ses pas lents, ses ralentissements, et sa durée qui dit le passé et ce qu’il y a devant.

Ces bancs photographiés, avec leurs vies, leurs noms, leurs intimités, leurs mots, leurs deuils, leurs passés, leurs fantômes, leurs hommages. Ce qu’ils disent des villes, quartiers, et sociétés, du monde, et ce qu’ils portent sur le dos. Entre ces vies qui vont et qui viennent, celles
qui passent, sur le bois des années gravées au couteau,
ou de ces mots en souvenir sur le métal, pour ne pas oublier, qui témoignent en offrande pour ravir et rendre hommage. « Pour la beauté des lieux. Seulement pour cela. Pour tout cela. »

Les bancs publics, sont pour moi ces points de repère, intimes et sociologiques qui, chaque fois, ici, maintenant avec toi ma Rosie, et dans toutes ces haltes au ralenti du monde, m’émeuvent.

« Si tu ne prêtes pas l’oreille au mutisme des maisons si tu ne prêtes pas regard aux fantômes des rues qui percevra le déclin de l’automne »

Moments fragiles

Jacques Brault (1933-2022)

 

ODE AUX BANCS PUBLICS