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* MA VIE AVEC MADAME NICOTINE – Le début est paru dans l’édition de l’été 2022 de L’Infobourg.
Par Yvon Boisclair
La vie m’amène à fréquenter un atelier d’arrêt tabagique au CLSC Limoilou. Enfin, je peux parler de ma dépendance sans être jugé! C’est fondamental pour moi, car la médecine fait en sorte qu’un fumeur se sent coupable de fumer.
L’exercice que me propose l’animatrice consiste à tenir un journal de ma consommation de tabac, pas facile, car à chaque fois que ma bouche caresse une belle brune, je dois le noter, ainsi que l’effet que ça me procure. Je porte donc attention à mon action de fumer ainsi qu’à ma réaction psychologique, sans en faire un drame, sans me mettre de pression, sans culpabiliser. J’applique cette méthode un certain temps, mais le pouvoir de séduction des filles de Jean Nicot continue ses ravages.
Nullement découragé, je reprends la même méthode mais dans un autre CLSC. Échec total, comme au premier essai. Mes bronches et mes poumons expriment avec éloquence leurs protestations: bronchites, pneumonies, hospitalisations. Je DOIS cesser.
Après une énième pneumonie qui me conduit à l’hôpital, victoire, je finis par arrêter!
Libéré? Non! Je me garroche dans la crème glacée, cinq à six cornets par jour, et, pour être sûr de ne pas être en manque, je garnis mon congélateur de gallons de crème glacée. Un beau dimanche matin, je mange un cornet aux fraises pour déjeuner. Je réagis aussitôt en trouvant une « meilleure » solution: aller à la tabagie m’acheter une machine à cigarettes, du tabac et des tubes. Comme je suis diabétique, vaut mieux fumer que de me bourrer de sucre. Je passe d’une dépendance à l’autre.
Prenant un café à la librairie Saint-Jean-Baptiste, je rencontre un ami qui utilise des timbres de nicotine pour l’aider à cesser de fumer. Jusqu’à ce jour j’avais toujours dédaigné cette méthode. Maintenant, je ne méprise rien qui soit susceptible de m’aider.
Je me dirige donc vers la pharmacie pour me procurer les timbres payés par la Régie de l’assurance-maladie. Il y a trois dosages décroissant en concentration; chaque dosage s’échelonne sur six semaines. À la fin de cette période, j’utilise des pastilles de nicotine pendant une semaine. Nous sommes en été.
Le mois de janvier suivant, je suis opéré pour des cataractes dans l’œil droit. Mais il y a des complications graves: je passe proche de perdre mon œil. Madame Nicotine, toujours fidèle, n’attendait que cela. Je la déguste pendant deux semaines. S’ensuivent une bronchite et une autre pneumonie.
Je ne fais ni une ni deux : je reprends les timbres. Comme c’est la deuxième fois en un an, je dois les payer de ma poche. Peu importe : ma vie est en jeu.
Je complète les dix-huit semaines avec les timbres, mais ce n’est pas suffisant pour m’arrêter; je me remets donc à sucer des pastilles de nicotine. Deux cents dollars par mois! J’en trouve les moyens et ainsi sauve mes bronches et mes poumons. Je continue ainsi pendant un an avant de les laisser.
Maintenant je ne fume plus. Comme exercice de contemplation, je fais du yoga, des périodes de relaxation, je médite, j’écris.
Quand je fumais, j’ai constaté que cela me procurait des moments de douce détente. J’ai toujours refusé de m’en sentir coupable. Ce tabagisme a laissé des traces dans mon corps. Aujourd’hui, je souffre d’une maladie pulmonaire obstructive chronique. Je la soigne avec des broncho-dilatateurs. Depuis mon arrêt du tabagisme, j’ai eu quatre autres pneumonies. Le tabac a été ma seule toxicomanie; le sucre n’a constitué que de rares épisodes sporadiques. Je ne me suis jamais condamné d’avoir fumé. En cela est la vraie guérison.