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Par Fabien Abitbol
Photo: Fabien Abitbol
Après six mois de consultations et de traitements à l’Hôtel-Dieu de Québec, puis douze semaines d‘une hospitalisation absolument pas prévue, me voilà avec suffisamment de recul et d’observation pour parler des « anges gardiens », une expression que je n’apprécie guère, peut-être parce qu’en France elle a une connotation très catholique, mais qui a été abondamment employée lors du premier confinement par le gouvernement du Québec. .
J’ai eu l’occasion, tant durant mes traitements d’été (lorsque les mesures COVID étaient allégées) qu’à l’automne puis en hiver lorsque le CIUSSS-CN avait resserré beaucoup de choses, et désormais au printemps pour les débuts de mon suivi post-opératoire, de croiser du personnel généralement aimable et en tout cas toujours dévoué. Du personnel d’entretien jusqu’aux médecins spécialistes qui ont eu à se pencher sur moi, il y avait toujours un être humain derrière le masque de procédure. À titre d’exemple, le chirurgien qui m’a reçu le 15 juillet 2020 et m’a dit qu’il espérait n’avoir jamais à m’opérer mais souhaitait me suivre régulièrement, c’est celui qui le 8 janvier 2021 m’a dit qu’il fallait m’opérer d’urgence au risque que je meure étouffé durant la fin de semaine. Je ne l’avais pas vu souvent, mais j’avais eu l’occasion de décrypter ses réactions et sa gestuelle, et j’avais remarqué une chose appréciable : alors que j’étais hospitalisé deux nuits en décembre il m’avait fait chercher pour m’ausculter et m’informer qu’il allait demander de devancer des examens. Lui au moins cherchait à savoir où se trouvaient ses patient·e·s, alors que lors de mes plus de quatre-vingt jours d’hospitalisation j’ai reçu plusieurs appels de services qui me croyaient à mon domicile, dont un pour me dire ce que je savais déjà (le jour et l’heure de l’une de mes interventions chirurgicales).
Parmi les nombreux infirmiers et nombreuses infirmières qui ont eu à s’occuper de moi, une fois passée la première semaine d’hôpital, où je passais mon temps à leur rappeler que «matin midi soir » en termes de médicaments c’est pour moi 6-7h, 12-14h puis 22-23h (et non pas 8h30, 12h, 17h comme pour les personnes chez qui la médication est calée sur l’horaire des cabarets), ça se passait bien. Certain·e·s soignant·e·s du soir pensaient à répondre à l’une de mes préoccupations avant que je ne pose la question, un infirmier n’osait pas me réveiller à 15h45 en prenant son service s’il voyait que je tentais de dormir, une infirmière qui prenait son service à 23h45 passait la tête si elle voyait que ma lumière n’était pas éteinte afin de connaître mon niveau de douleur pour me proposer des remèdes lorsqu’elle repasserait à 2h pour s’occuper de moi, etc. J’ai même eu une fois une infirmière qui m’a proposé de me faire mon shampooing parce que les préposé.e.s étaient trop occupé·e·s.
Chez les préposé·e·s, pareil : deux ou trois avaient très vite compris que ma sixième chirurgie m’empêchait de faire ma toilette seul, une passait toujours vers 14h pour me demander si je j’avais besoin de quelque chose, et celle qui s’occupait principalement d’aller chercher les malades dans leur chambre pour les mettre en attente de brancardier a très vite compris que si je ne savais pas à l’avance que j’avais un rendez-vous, il fallait que je prenne mon temps pour répondre présent, qu’il soit 8 h 30 ou 15 h.
La femme chargée de l’entretien en semaine, je l’entendais arriver : elle chantonnait toujours. Elle n’a commencé à me dire bonjour qu’au bout de trois semaines, mais elle connaissait mes habitudes et, sans que je ne lui demande quoi que ce soit, m’a apporté un vendredi une boîte de mouchoirs, puis certains vendredis me demandait si j’avais besoin de quelque chose. Parmi ses collègues hommes qui travaillaient les samedis, dimanches et jours fériés, l’un prenait particulièrement soin de la quiétude des patient·e·s, quitte à repasser plus tard vider les poubelles (elles se remplissent vite à l’hôpital, COVID ou pas) et nettoyer les bords du lit, la table roulante et le rebord de la fenêtre.
À la longue je parvenais à reconnaître les humains derrière leur masque, parfois avant qu’ils ne passent le seuil de la porte, à la voix, parfois à un tatouage, parfois à une simple paire de chaussures, et évidemment à l’accent car j’ai pu m’apercevoir qu’il y avait pas mal de personnes immigrantes, dont certaines ne connaissaient même pas encore la ville car elles étaient arrivées pour prêter main forte, eu égard au manque de main d’œuvre qualifiée dans le milieu de la santé. Car le problème majeur à l’Hôtel-Dieu –et probablement dans tous les hôpitaux du Québec–, c’est le manque de personnel. Ce n’est peut-être pas un problème nouveau, mais il est accentué par les procédures COVID qui ralentissent le travail, et aussi qui entraînent davantage d’absences.
Même les brancardiers à la longue, je les connaissais. Au point que le mardi 6 avril, en quittant les soins ambulatoires, l’un d’eux m’a reconnu et m’a trouvé en forme. Comme du temps où j’étais hospitalisé, il m’a parlé météo.
Parmi les gens qui ont eu à s’occuper de moi, une voisine du quartier avec qui il m’est arrivé de faire la semaine de la poutine ainsi que la soirée de fermeture d’un restaurant du quartier en octobre 2019, ainsi qu’une ancienne voisine, qui m’a reconnu parce que lors de ses études elle travaillait dans un établissement de restauration du quartier. Elle avait donc rencontré le personnage avant la personne alitée.
Le 25 mars, jour de ma sortie de l’hôpital, j’étais raccompagné chez moi par une femme qui a travaillé dans notre quartier depuis son arrivée à Québec jusqu’au 5 avril (elle est désormais employée par le CIUSSS-CN) et son conjoint, l’infirmier qui s’était occupé de ma sortie d’hôpital en décembre 2020. Un grand réconfort, puisque j’étais attendu à la maison par un infirmier du CHUL spécialisé en soins respiratoires et venu m’installer du matériel et passer deux heures à m’expliquer les bases à sa façon, afin que je puisse faire seul chez moi ce que je faisais encadré à l’hôpital. Lui passe me voir au minimum une fois par semaine ou me demande des nouvelles par texto. Chaque jour où je n’ai pas rendez-vous à l’hôpital, une infirmière du CLSC Limoilou passe à mon domicile s’occuper de moi. Et une fois par semaine, une nutritionniste vient passer une heure à mes côtés, le reste se faisant par courriel.
Le système de santé, quoi qu’on en dise, est bien rodé. Mais il est surchargé, et la COVID n’arrange rien à l’affaire.