Par Andrée O’Neill

À moins de vivre sous une roche, on s’y prend les pieds quinze fois par semaine : il n’y a pas seulement le voisinage éphémère qui fait le party toute la nuit et jette ses ordures n’importe où n’importe quand (Airbnb, que certains chroniqueurs en économie appellent sans rire «économie de partage», ça vous dit quelque chose?). Il y a aussi les annonces, presque à chaque coin de rue, de construction à venir d’«appartements distinctifs avec spa et barbecue urbain, idéal pour investisseur », les téléréalités de lippeuses et de flippeux de maisons, les influenceurs et influençeuses qui présentent leur condo-style-loft ou leur loft-style-condo, les livres et les cours à succès des coachs en immobilier. Et nous sommes très nombreuses et nombreux à regarder tout cela avec admiration ou convoitise.

Plus que jamais, le logement est considéré comme une marchandise. Plus que jamais, dans l’esprit d’une très grande partie de la population, un appartement ou une maison, sert bien plus à faire une piastre qu'à se loger. Mais cette dimension marchande de l’habitation n’a pas toujours été aussi importante; l’évolution de l’habitat –qui est passé de « bien d’usage » à «bien d’échange »– est étroitement liée à celle du capitalisme. C’est ce que nous aide à comprendre Louis Gaudreau dans Le promoteur, la banque et le rentier : fondement et évolution du logement capitaliste. Il y explique comment, au fil des siècles, s’est tissée cette relation entre capitalisme et logement. Il nous fait voir à quel point, au cours de l’Histoire, l’apparition du capitalisme, puis l’industrialisation des sociétés occidentales, leur urbanisation croissante et surtout, à partir des années 1980, l’avènement du néolibéralisme et la financiarisation de l’économie ont peu à peu façonné nos consciences afin de rendre acceptable l’emprise du marché sur ce qui est, en réalité, un bien essentiel. L’État, qui avait pris une certaine place et mis en œuvre quelques politiques de logement social pendant l’après-guerre, s’en est retiré progressivement à partir de la fin des années 1970. Également après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la publicité de masse ont connu un essor sans précédent. Puis, ces trois dernières décennies, l'instauration de politiques néolibérales agressives a fait le reste. Comme le décrit Louis Gaudreau, notre «rapport culturel à la propriété d’occupation» radicalement transformé. On en est venu à cesser de penser le logement comme un droit fondamental et à le voir enlever trop souvent comme un pur objet de spéculation.

Louis Gaudreau plaide pour un «nouveau mode de prise en charge du logement» et pour des changements radicaux dans la façon de le financer, de le développer et de l’utiliser. En s’appuyant sur les travaux du sociologue Bernard Friot, il propose rien de moins que d’abolir la propriété lucrative et le crédit qui y est lié, pour se tourner vers l’investissement collectif et vers la propriété strictement d’usage. Mais ce rêve ne deviendra réalité que lorsque l’État jouera vraiment son rôle d’État, autrement dit à la semaine des quatre jeudis... ou alors lorsque nous réinventerons totalement notre système économique.

Pour attaquer un problème de front et le combattre avec succès, il faut comprendre ses origines. C’est pourquoi la lecture de Le promoteur, la banque et le rentier, même si elle est un peu ardue et demande attention et concentration, peut contribuer à enrichir le coffre à outils des personnes qui luttent pour la pleine reconnaissance du droit au logement.

Louis Gaudreau, Le promoteur, la banque et le rentier, Montæréal, Lux, 2021.

 

 

Le promoteur, la banque et le rentier (ou comment le logement est devenu une marchandise)