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Par Felixe Jouanneau de l’Association pour la défense des droits et l’inclusion des personnes qui consomment des drogues du Québec et Ty Rousseau-Saucier de Point de repères, qui souhaitent mettre en lumière les enjeux négatifs posés par le PL-103. 

Le 6 mai 2025, le ministre responsable des services sociaux, Lionel Carmant, présentait le projet de loi 103 (PL-103). Cette « Loi visant principalement à réglementer les sites de consommation supervisée afin de favoriser une cohabitation harmonieuse avec la communauté»* a suscité de vives réactions tant chez les personnes utilisatrices de drogues que parmi les organismes communautaires. À la lecture des deux chapitres du texte, il apparaît qu’aucune actrice ni acteur du milieu n’a été consulté·e lors de son élaboration. 

Concrètement, qu’implique le PL-103 ? D’abord, il fait peser la responsabilité des enjeux de cohabitation sur les sites de consommation supervisée (SCS) et les organismes oeuvrant auprès des personnes en situation d’itinérance. Si le PL-103 est adopté, ces organismes seront fragilisés, voire contraints à fermer, alors qu’ils subissent déjà des coupes budgétaires et un manque chronique de financement. Résultat : une exclusion accrue des personnes consommatrices, sous prétexte « d’harmonie sociale ». 

En pratique, le projet de loi forcerait les organismes à rédiger une demande d’autorisation d’opérer au ministère de la Santé tous les quatre ans, demande pouvant être révoquée à tout moment sous réserve d’une décision arbitraire du ministère. 

Il interdirait aussi l’implantation de SCS à moins de 150 mètres d’une école, d’une garderie ou d’un CPE, une exigence irréaliste dans les grands centres urbains. En faisant passer ce projet de loi, on porte une atteinte directe aux droits à la santé des personnes utilisatrices de drogues qui vivent déjà isolement et discrimination : il transforme les préjugés en normes législatives. À cela s’ajoute une hausse prévisible du risque de surdoses, donc plus de décès. 

Pour nous, ce projet de loi représente un recul majeur en matière de réduction des méfaits. Un site de consommation supervisée, ça n’est pas seulement un lieu où consommer de façon sécuritaire, c’est aussi un espace d’intervention de première ligne, sans jugement, offrant un accès rapide à des soins de santé, dans le respect de la dignité des personnes. 

Par ailleurs, aucun chiffre ni donnée scientifique ne vient appuyer les fondements du projet de loi 103. Au contraire, l’histoire de la réduction des méfaits, l’expertise terrain des organismes et de nombreuses études montrent les bénéfices des sites de consommation supervisée : meilleure qualité de vie pour les personnes qui les fréquentent, moins de matériel de consommation laissé dans les rues et diminution des transmissions du VIH et de l’hépatite C. 

Il importe toutefois de préciser que la réduction de la visibilité de la consommation dans l’espace public ne peut être érigée comme objectif en soi, ni servir à justifier des mesures qui restreindraient davantage l’accès aux SCS. Dans un contexte où les personnes qui utilisent des drogues vivent déjà de l’exclusion systémique, proposer un projet de loi qui va à l’encontre de leurs droits et libertés est non seulement inacceptable, mais aussi dangereux. 

En associant criminalité et usage de drogues, on entretient un préjugé profondément ancré dans notre pensée collective, hérité directement de la prohibition. Cette logique de proscription produit des lois répressives et discriminatoires, telles que le PL-103, qui ciblent uniquement les communautés marginalisées. On observe ainsi une incohérence flagrante dans le discours gouvernemental : d’un côté, on affirme vouloir protéger la santé des québécoises et des québécois, mais de l’autre, on propose une loi qui compromet la santé et le bien-être d’une partie de la population, sans données probantes à l’appui. 

En conclusion, le PL-103 n’a pas lieu d’être. Il est grand temps que les élu·e·s tiennent compte de l’expertise communautaire et écoutent les personnes concernées. Considérant que l’alcool et le tabac, légaux au Québec, sont responsables de plus de décès que toutes les autres drogues réunies, il faut mettre fin aux construits sociaux obsolètes et à la guerre contre les drogues. Les personnes utilisatrices de drogues ont des droits, et ce n’est pas en multipliant les méthodes de répression que le nombre de décès diminuera. 

Pour plus d’informations sur le projet de loi 103 : 

Ty Rousseau-Saucier (il) 

Intervenant - Point de repères 

intervenant@pointdereperes.com 

Felixe Jouanneau (elle) 

Représentante régionale - ADDICQ section Québec 

defenseudi@gmail.com 

*Titre du projet de loi 103 tel que présenté par Lionel Carmant le 6 mai 2025. 

Le projet de loi 103 : rien à notre sujet sans nous