Par Laurent Desjardins,

Le commun des mortels ne sait que très peu de choses des conditions de vie des personnes prestataires de l’aide sociale au Québec.

La plupart d’entre nous savent que les montants attribués sont dérisoires et gardent ces individus dans une pauvreté instituée. Une personne seule reçoit 770 $ par mois (9 240 $ par année), ou un peu plus si l’État conçoit qu’elle a des « contraintes à l’emploi » (11 076 $ par année si les contraintes sont « temporaires », et 14 460 $ si les contraintes sont jugées « sévères »).

Certain·e·s savent que ces montants ridicules sont réduits si les personnes prestataires reçoivent un certain salaire. L’État leur accorde ce qu’on appelle un « gain de travail » de maximum 200 $ par mois. Si une personne prestataire oublie de déclarer qu’elle a reçu ne serait-ce qu’un seul dollar de plus, sa déclaration est déclarée « fausse », et l’État la punira sévèrement.

Très rares sont ceux et celles qui savent comment l’État punit ces personnes, et à quel point ces punitions sont obscènes.

Toute déclaration jugée « fausse » par le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale (sic) est réprimée par une amende allant de 112 $ par mois pour la première offense à 224 $ par mois pour la deuxième. Pour donner une idée de la sévérité de cette peine, disons qu’elle équivaut à une amende de 1 110 $ pour une personne qui gagne le salaire moyen au Québec. Selon la SAAQ, il faudrait que vous rouliez à 80 km/h dans une zone scolaire pour recevoir une telle amende.

Il faut aussi savoir que les raisons derrière ces « fausses déclarations » sont innombrables, mais presque toujours de bonne foi. La journaliste Isabelle Porter révélait
dans Le Devoir que 80 % d’entre elles sont commises sans le vouloir, et sont dues principalement à la grande complexité de la loi. Certain·e·s prestataires témoignent même avoir reçu un montant supplémentaire parce qu’un·e agent·e du ministère leur avait assuré y avoir droit, ce qui n’était finalement pas le cas. L’erreur est humaine. La machine bureaucratique, elle, fait fi de toute humanité.

On pourrait alors croire qu’une fois sévèrement punies par le ministère responsable de la Solidarité sociale, les personnes fautives apprennent de leur erreur, arrivent éventuellement à payer le montant demandé, et tournent la page. Ce serait sous-estimer la violence étatique qui garde ces personnes en position de précarité.

Cette pénalité est effectivement accompagnée de taux d’intérêt qui feraient frémir tout propriétaire : 10 %, reconductible à chaque mois. Ainsi, si ces personnes prestataires n’arrivent pas à se départir d’environ 15 % de leur revenu dans le mois qui vient, une invention
des plus vicieuses les atteint : des intérêts sur la dette. Plusieurs n’arrivent jamais à s’en sortir, et passent une vie à rembourser une dette contractée à cause d’une erreur administrative.

C’est pour dénoncer ce cercle vicieux que de nombreux·se·s militant·e·s de l’Association pour la défense des droits sociaux (ADDS) se sont rassemblé·e·s devant le centre de recouvrement du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale le 20 novembre dernier. Ce groupe a, à cette occasion, remis aux responsables le Dossier noir, qui jette la lumière sur ce phénomène qui mine la solidarité et l’inclusion sociale. L’ADDS est le dernier bastion qui défend les droits de ces concitoyen·ne·s qui n’ont autrement pas de syndicat et encore moins de gros chéquiers pour attirer l’attention du public et des gouvernants.

L’Infobourg invite donc ses lecteur·rice·s à approcher l’ADDS afin de recevoir une copie de ce Dossier noir et de se familiariser à ce phénomène insidieux.

La cupidité d’état derrière l’aide sociale