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Par Andrée O’Neill
Pourquoi, envers et contre tout gros bon sens, aimons-nous tant notre char ? Pourquoi sommes-nous si facilement séduit·e·s pas le message de certain·e·s politicien·ne·s corrompu·e·s, narcissiques ou cupides ?
C’est parce que nos choix – et même nos idéaux – sont souvent le fruit d’offensives de persuasion orchestrées par de grandes compagnies spécialistes de la manipulation des masses. Il existe depuis longtemps des techniques très raffinées pour nous vendre des choses inutiles et nuisibles, au profit de ceux qui les fabriquent. Qu’il s’agisse de nous donner l’envie irrésistible de posséder une voiture, de nous faire avaler un changement au zonage municipal ou d’infléchir notre opinion sur un personnage ou un parti politique, ces techniques sont devenues, au fil de nombreuses décennies, très efficaces, précises et ciblées.
Elles étaient cependant plutôt embryonnaires en 1928, lorsque Edward Bernays a écrit le document fondateur du métier de relationniste, Propaganda.
Bernays pratiquait avec plus ou moins d’enthousiasme le métier de journaliste lorsqu’il fut appelé à servir informellement de médiateur pour éveiller l’intérêt du public envers certains artistes en tournée aux États-Unis (dont le chanteur Caruso et le danseur Nijinski) qui ne jouissaient pas d’un préjugé favorable auprès des Américain·e·s. Ses interventions ayant été couronnées de succès, il prit conscience des possibilités infinies de certains procédés de maniement de l’opinion publique, qu’il avait mis en oeuvre avec brio. Il décida d’officialiser ses services et de les proposer à des grandes entreprises, puis, par la suite, au gouvernement américain (notamment pendant la Première Guerre mondiale).
En onze chapitres, il s’exprime avec candeur sur la nécessité de « manipuler les opinions et les habitudes organisées des masses » et ainsi former « un gouvernement invisible » qui serait le véritable dirigeant d’un pays, d’un État, d’une ville, etc. Il constate que l’élargissement du droit de vote et de la scolarisation a favorisé l’avènement d’une conscience sociale qui « réduit la docilité des masses », et qu’il faut « fabriquer leur consentement », une expression reprise par le linguiste Noam Chomsky dans un de ses ouvrages les plus connus.
Propaganda est néanmoins devenu une référence pour les professionnels des relations publiques.
Aujourd’hui, les héritier·ère·s d’Edward Bernays sont très nombreux·ses à s’activer dans toutes les directions : les demandes affluent, partout dans le monde, de la part de grandes entreprises, de gouvernements ou de personnalités publiques pour atténuer les effets d’un scandale politique, améliorer l’« acceptabilité sociale » de projets inacceptables, corriger un problème d’image ou même faire basculer une élection. Comment ? En « bâtissant un dialogue constructif et proactif avec les citoyens » ou en « diffusant le bon message, au bon endroit et au bon moment », comme le promettent dans leur page d’accueil certaines des agences les plus en vue. Les relationnistes sont devenu·e·s maintenant beaucoup plus nombreux·ses que les journalistes (au Canada en 2021, il y avait 6 275 journalistes et 83 420 professionnels en publicité, marketing et relations publiques). De plus, les relationnistes ne sont pas régulé·e·s par un mécanisme de contrôle déontologique comme le sont les journalistes avec le Conseil de presse du Québec. Il n’est pas étonnant d’ailleurs qu’il y ait tant de tensions et de jeux de pouvoir entre le métier de relationniste et celui de journaliste.
Bien sûr, nous sommes moins crédules qu’il y a 100 ans puisque mieux éduqué·e·s. Les relations publiques, de même, ne servent pas toujours qu’à mettre les puissant·e·s de ce monde à l’abri de la démocratie et de la transparence ; des gouvernements et des organisations y ont parfois recours pour promouvoir des comportements souhaitables comme la vaccination, la scolarisation, le dépistage de certaines maladies, la prévention des accidents de la route, etc. Mais on ne se trompe pas en disant qu’il nous reste encore du chemin à faire et que les « spin doctors » ont de beaux jours devant eux…
Edward Bernays, Propaganda, Montréal, Lux Éditeur, 2008.