Par Judy Coulombe, travailleuse du Regroupement des groupes de femmes RGF-CN

Cela fera bientôt un an que les convois de camionneurs débarquaient avec grand bruit sur la colline Parlementaire, à Québec, mais surtout à Ottawa. La vérificatrice générale du Canada publiait tout récemment ses recommandations dans lesquelles elle déplorait la gouvernance de la crise et le manque de communications du Service de police d’Ottawa.

Une pente glissante, s’il en est une en démocratie, est de laisser les forces policières gérer. On se questionne ainsi de la réaction de la Ville de Québec qui proposait cet automne un règlement émanant de la demande du SPVQ.

Pourtant, après plusieurs années de débats devant les tribunaux, la Cour d’appel a confirmé en 2019 le droit applicable sur tout le territoire québécois : l’usage de la voie publique pour manifester est légitime et il ne peut pas être limité par une réglementation restrictive. « Ce n’est donc pas parce qu’elle est perturbatrice que la manifestation doit être régulée et si elle doit l’être pour des raisons de sécurité, ce ne peut être prioritairement par le recours à des sanctions pénales de responsabilité stricte », tranche la Cour. Faut-il rappeler qu’il existe d’autres outils juridiques pour empêcher les émeutes? Il semble que la Ville de Québec persiste alors que celle de Montréal, pour n’en nommer qu’une, a tout simplement choisi d’abroger son règlement P-6.

Une nouvelle mouture de l’article 19.2 du Règlement sur la paix et le bon ordre devait être adoptée in extremis en décembre 2022, mais des groupes communautaires ont rappelé à l’administration Marchand que les « exigences en matière de préavis ont pour effet de rendre illégales et, en pratique, de proscrire, sous peine d’une sanction pénale, la manifestation spontanée et la manifestation surprise ». Un report qui s’avérait obligé, compte tenu des objectifs et des impacts incohérents. Lors de rencontres avec les élu·e·s municipaux, la principale préoccupation était d’assurer le passage de véhicules d’urgence si une marche devait prendre la rue. La sécurité des citoyen·ne·s est évidemment importante, mais quel est le lien avec la notion d’organisateur, qui est si centrale dans le projet de règlement?

L’administration Marchand tente peu subtilement d’opposer sécurité et manifestation. Les groupes organisés qui collaborent avec le SPVQ remplissent des formulaires, répondent au téléphone, et se retrouvent ainsi parmi les « bons joueurs », car ils favorisent la sécurité. Sauf que la Ville semble aveugle au fait que les policiers en question peuvent faire des recherches sur les personnes inscrites dans lesdits formulaires et s’adonner à des pratiques de profilage politique. Plus que naïve, la Ville endosse la notion d’organisateur dans son projet de règlement. Ce qui décourage clairement. Ensuite, pourquoi réviser un règlement qui n’a pas lieu d’être? Pourquoi s’attacher obstinément à l’article 19.2 qui est invalide, inopérant et inapplicable?

La décision des tribunaux date déjà de plusieurs années, la Ville de Québec devrait abroger l’article et s’inquiéter un peu moins des inconvénients qu’une manifestation peut causer à l’organisation des forces policières, et un peu plus au rôle central de la liberté d’expression et de la liberté de réunion pacifique dans une société libre et démocratique.

Droit de manifester : la sécurité pour qui ?