Témoignage recueilli par l’Association de défense des droits sociaux de la Rive-Sud

La personne souhaitait garder l’anonymat.

Visuel : ADDS Rive-Sud

À l’approche de la Saint-Valentin, je réfléchis beaucoup à mes conditions de vie en tant que personne assistée sociale. Peu de gens le savent, mais au Québec, le fait d’être prestataire de l’aide sociale vient avec de nombreux obstacles à mener une vie de couple. Lorsque l’aide sociale considère deux personnes comme conjointes, le plus souvent après 12 mois de cohabitation, les conséquences sont lourdes: perte complète des prestations d’aide sociale si l’un des deux conjoints travaille, diminution de 25 % des prestations si les deux sont prestataires, etc.

Dans mon cas, si je décidais d’aller vivre avec mon conjoint, après 12 mois de cohabitation je n’aurais plus droit à rien. Je me ferais couper mon aide sociale ainsi que mon autonomie physique, mentale et financière. Pourtant, j’ai des contraintes sévères à l’emploi. Je ne peux pas travailler mais ce n’est pas pour autant que je veux dépendre d’une autre personne. Je suis donc condamnée à voir mon conjoint seulement les fins de semaine. Pourquoi seulement les fins de semaines ? Parce que l’aide sociale ne s’arrête pas qu’au seul fait d’habiter ensemble pour couper : tu passes plus de temps chez lui que chez toi ? Ils te considèrent conjoint et coupent. La semaine, nous trouvons ça dur.

J’aimerais être plus souvent avec lui mais je ne peux pas. Mon autonomie et mon indépendance financière sont trop importantes pour moi. Je ne veux pas avoir à lui demander un 20 $ pour faire une commission. De toutes façons, lui-même n’a pas des gros revenus.

Les enquêtes de l’aide sociale sont lourdes et très intrusives. Cette situation m’amène donc à devoir me protéger pour ne pas éveiller de soupçons. Quand je vais porter des papiers à Service Québec, je change ma bague de fiançailles de doigt pour ne pas qu’ils me posent de questions. Tu es fiancée? À qui? Tu habites avec quelqu’un? Ils peuvent aller rencontrer nos voisins, questionner notre famille, demander des preuves. L’autre fois, mon voisin a mis sa voiture dans mon parking et je lui ai demandé de l’enlever pour ne pas que je sois soupçonnée d’avoir une personne qui habite avec moi. Quand mon conjoint vient me chercher il ne reste même pas 30 minutes et il ne dort jamais chez moi. Quand je vais chez lui j’y vais avec une valise et je repars avec mes choses. Je ne laisse rien chez lui. Je fais tout cela pour me conformer à l’aide sociale. Pourtant, je suis dans la légalité, puisque je passe la majorité de mon temps dans mon appartement...au détriment de ma relation de couple. L’aide sociale nous fait ça. Elle nous met sur nos aguets parce qu’on ne peut pas se permettre de perdre nos prestations.

Au final, je trouve que le gouvernement ne se préoccupe pas des personnes assistées sociales. Nous sommes menées à devoir choisir entre avoir une relation amoureuse et notre autonomie financière. Selon moi, c’est de la violence économique. En fait, mon vœu en cette Saint-Valentin, c’est de pouvoir aimer sans crainte et sans devoir me cacher. Est-ce réellement trop demander?

 

De travailleuse à assistée sociale, j’ai perdu mon droit à l’amour