Par Charles-Olivier P.Carrier

 

Au pays virtuel de Airbnb, c’est difficile de s’y retrouver. Cet été au Compop, nous étions curieux·euses de savoir si les touristes allaient revenir encore une fois prendre la place des citoyen·ne·s dans les logements du quartier, maintenant que la pandémie s’est apaisée et que les règlements se sont passablement modifiés depuis 2019. C’est effectivement plus compliqué lorsque lesdits règlements et leur application changent toutes les années et diffèrent d’une municipalité à l’autre. D’ailleurs, le dernier changement en date remonte tout juste au 1er septembre 2022.

 

Le cadre législatif et son application

En principe, tout établissement d’hébergement touristique – c’est-à-dire tout établissement louant ses locaux en totalité ou en partie à des « touristes » pour moins de 31 jours – doit avoir une attestation de classification et afficher son numéro d’identification, y compris sur toute publicité (donc également sur une plateforme web de type Airbnb). Jusqu’à maintenant, l’organisme responsable d’émettre ces attestations (la Corporation de l’industrie touristique du Québec, ou CITQ) devait notifier aux municipalités des nouvelles demandes d’attestation et celles-ci devaient elles-mêmes vérifier si les demandes étaient conformes aux règlements municipaux. Depuis le 1er septembre, cependant, toute personne qui fait la demande d’une nouvelle attestation (y compris dans la nouvelle catégorie créée pour accommoder les utilisateurs et utilisatrices d’Airbnb) doit fournir la preuve que son établissement respecte les règles municipales. Ce qui, on l’espère, favorisera le respect du zonage et des règlements municipaux.

 

D’autres (relatives) nouveautés semblent déjà encourageantes. Revenu Québec (chargé depuis mi-2018 de faire appliquer certaines dispositions de la Loi sur les établissements d’hébergement touristique) a confirmé au milieu de l’été avoir distribué 266 constats d’infraction dans la région touristique de la Capitale Nationale entre le 1er avril 2021 et le 31 mars 2022. 178 condamnations auraient ainsi été obtenues, totalisant 728 347$ d’amende (soit 4 091,84$ par condamnation alors que l’amende minimale est de 3 600$). Cela peut sembler relativement peu, mais à partir de nos propres données et de celles d’Inside Airbnb, on estime qu’il y avait autour de 156 annonces illégales affichées sur Airbnb le 6 juin 2022. En supposant que certains des contrevenants ont retiré leur annonce après s’être fait prendre, et en prenant en compte que l’année touristique 2021-2022 était plutôt tranquille, les chiffres de Revenu Québec donnent l’impression que les inspecteurs ont chopé tout le monde ou presque.

 

Mais, est-ce que les touristes sont de retour?

Dans Saint-Jean-Baptiste deux choses sont très claires:

 

1- Il y a maintenant moins d’annonces de location sur Airbnb qu’en 2019 (80 annonces ayant reçu un commentaire en juillet 2022 – indiquant ainsi de l’activité récente – contre 172 en juillet 2019) ;

2- Une proportion importante de celles-ci sont illégales : 44%.

 

Pourtant, ce n’est pas le cas du tout à l’échelle de la ville de Québec ou dans d’autres quartiers. La ville comptait 1 169 annonces ayant reçu un commentaire en juillet 2019, elle en comptait 1 109 en juillet dernier. La raison de cette différence entre la situation municipale et celle du faubourg se comprend mieux lorsqu’on regarde la proportion d’annonces illégales dans les autres quartiers : 16% pour le Vieux-Québec et 10% pour Saint-Roch (les deux quartiers ayant le plus d’annonces). Cela suggère une chose     : le zonage très restrictif dans Saint-Jean-Baptiste conjugué aux moyens d’inspection plus robustes ont permis de restreindre la propagation du phénomène dans le Faubourg alors que les annonces se sont multipliées là où le zonage est plus permissif (notamment chez nos voisins de la basse-ville). Dans le contexte des lois actuelles, le zonage et la réglementation municipale semblent être des moyens importants de contrôler le phénomène.

 

Questions ouvertes

Une question demeure toutefois au sujet de la viabilité future des méthodes d’inspection. Si c’est a priori facile d’évaluer si une annonce contrevient à la loi (il suffit qu’elle omette d’afficher son numéro d’identification de la CITQ), c’est une autre paire de manches de déterminer l’identité du contrevenant, celle-ci étant cachée sur la plateforme, et ensuite de trouver une adresse pour poster l’amende. Comment Revenu Québec s’y prend-il? Deux hypothèses: soit l’organisme d’État consacre beaucoup de ressources terrain pour effectuer toutes les vérifications, une par une; soit Revenu Québec a une forme d’entente de partage d’information avec Airbnb qui lui permet d’accéder à l’identité des contrevenants beaucoup plus facilement. Pour l’instant, Revenu Québec a refusé de confirmer ou d’infirmer même l’existence d’un tel accord, entente ou contrat d’échange.

 

Or, la littérature scientifique reste pessimiste quant à l’efficacité du genre de mesures mises en place par le gouvernement du Québec. Dorrit de Jong*, par exemple, montrait que c’est pratiquement impossible pour les États d’appliquer eux-mêmes leur propre régulation si les entreprises propriétaires des plateformes ne rendent pas publiques les informations pertinentes aux inspections (adresse, identité de l’opérant) ou sans être eux-mêmes les mandataires de l’application des mesures. Par ailleurs, advenant qu’une telle entente existe, si les actions passées de l’entreprise (notamment ses ententes avec les villes de Portland en Oregon et de Paris en France) ont quelque chose à nous apprendre, c’est bien que l’entreprise ne compte pas respecter ses contrats avec les pouvoirs publics pour toujours…

 

À suivre.

 

* De Jong, D. (2020). Affordable Housing - Airbnb and the digital services act. Dutch Greens/City Council of Amsterdam.

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