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Par François Saillant
Nous sommes les 20, 21 et 22 octobre 1978. Plus de 20 comités citoyens actifs à travers le Québec, dont deux du quartier Saint-Jean-Baptiste, se rencontrent pour faire la critique des programmes gouvernementaux en aménagement urbain. Échaudés par les entreprises de rénovation urbaine qui, dans les années précédentes, ont éventré les centres-villes et chassé les classes populaires, les groupes constatent que c’est maintenant sous couvert d’amélioration de quartier et de rénovation domiciliaire que les gouvernements menacent le droit des populations à faible revenu de demeurer dans leurs logements et leurs milieux de vie.À la fin du colloque, ils se prononcent très majoritairement pour la mise sur pied d’une organisation commune visant à améliorer leur rapport de forces face à l’État. Quelques mois plus tard, ce regroupement prend le nom de Front d’action populaire en réaménagement urbain, mieux connu sous son acronyme FRAPRU.
Une aventure collective
C’est l’histoire de ce mouvement, de ses origines, de ses victoires, mais aussi de ses défaites, de ses bons coups comme de ses moins bons, que je raconte dans mon livre Dans la rue. Une histoire du FRAPRU et des luttes pour le logement au Québec, publié en janvier 2024 par Écosociété. À la fois témoignage de l’intérieur et exercice de mémoire militante, le livre de 256 pages permet de constater que, malgré des moyens modestes, le FRAPRU a réussi à influencer certaines politiques publiques et à éviter des reculs majeurs. Ses luttes ont largement contribué à la construction de plus de 43 000 logements sociaux à la suite de la mise en place en 1997 du programme québécois AccèsLogis. Elles ont aussi aidé à bloquer à quelques reprises des hausses de loyer dans les HLM, à obtenir la poursuite des subventions fédérales aux logements sociaux existants et à faire reculer le gouvernement sur la saisie des chèques d’aide sociale dans les cas de non-paiement de loyer. La liste pourrait continuer.Pour ce faire, le FRAPRU a eu recours à une large palette de moyens de lutte, dont certains ont su frapper l’imagination. Dans la rue revient sur certains de ces épisodes : construction d’un bidonville devant l’Assemblée nationale, campement d’hiver sur la rivière des Outaouais, animation d’un Camp des 4 Sans (« Sans toit, sans droit, sans voix et sans l’sou ») lors des 400 ans de la ville de Québec, occupations du bureau du premier ministre canadien et de la résidence officielle de la gouverneure générale, grande marche d’Ottawa à Québec...
À l’origine des crises actuelles
Raconter l’aventure du FRAPRU permet par ailleurs de faire un retour sur de multiples luttes nationales et locales menées de 1940 à aujourd’hui sur l’habitat, la ville et d’autres enjeux sociaux. Elle fournit aussi l’occasion de revenir sur certaines décisions gouvernementales qui sont en large partie à la source des crises actuelles dans le domaine du logement. On peut penser au désengagement fédéral du logement social au début des années 1990, à l’arrêt depuis 30 ans de la construction de HLM, au sous-financement chronique du programme québécois AccèsLogis, à l’échec patent de la Stratégie nationale du logement du gouvernement fédéral pourtant présentée comme un plan « de plus de 82 milliards », au refus obstiné du gouvernement québécois d’assumer son rôle régulateur sur les pratiques du marché privé de l’habitation.
En conclusion, Dans la rue explique comment la marchandisation et la financiarisation du logement alimente la pénurie d’appartements locatifs, l’explosion des loyers et les évictions de locataires dues à des pratiques spéculatives.
Dans la rue nous rappelle que le logement est un droit, mais qu’il est aussi un combat mené depuis des décennies... et toujours à poursuivre.