Une partie du site du futur écoquartier de la Pointe-aux-lièvres. (Photo Étienne Grandmont) Par Nicolas Lefebvre Legault Dans notre dernière édition, la Coalition pour le droit au logement se demandait si la mixité sociale serait au rendez-vous dans les grands projets immobiliers. L’Infobourg s’est penché sur le cas de l’écoquartier projeté à la Pointe-aux-Lièvres, une friche urbaine appartenant à la Ville de Québec, dans le quartier Saint-Roch. Nous avons rencontré des groupes déterminés à voir émerger des projets de logements sociaux coûte que coûte et… un grand flou artistique du côté des décideurs et des promoteurs.

Pourquoi la mixité? Le conseil de quartier Saint-Roch est sans conteste le groupe le plus engagé dans la défense du principe de mixité sociale au centre-ville et dans le futur écoquartier de la Pointe-aux-Lièvres en particulier. Dès 2004, la Charte de la qualité de vie dans le quartier Saint-Roch fait du principe de mixité une valeur cardinale du conseil. Pour actualiser cette valeur, le groupe défend depuis toujours une cible de 30 % de logements sociaux dans le quartier Saint-Roch. Cette préoccupation de la mixité sociale et du logement social avait d’ailleurs été intégrée dans les deux dernières démarches de consultation sur l’avenir de la Pointe-aux-Lièvres (en 2005 et 2006). Avec la revitalisation, une certaine mixité a été atteinte parmi les quelque 7 700 habitants et habitantes du quartier Saint-Roch. Il faut dire que la place des classes populaires y est protégée par la présence de plus de 2 000 unités de logements sociaux de toutes sortes. C’est entre autres ce qui fait qu’il s’agit encore d’un quartier populaire. Toutefois, comme le reste du centre-ville, Saint-Roch est un milieu à l’équilibre fragile. Qu’on le veuille ou non, la construction de 910 nouveaux logements à la Pointe-aux-Lièvres aura un impact sur le quartier. On parle ici de 2 000 nouvelles personnes, une augmentation de 25 % de la population. Les besoins sont là Les groupes communautaires le disent depuis des années, il y a des besoins énormes en habitation sociale. Un sondage réalisé par Léger Marketing sur les préférences résidentielles pour le compte de la Ville vient le confirmer. Concrètement, l’intérêt le plus fort pour les écoquartiers vient de gens peu fortunés vivant déjà au centre-ville de Québec. Plus de la moitié des familles gagnant moins de 40 000 $ par année seraient intéressées, contre seulement le tiers de celles gagnant plus de 80 000 $. Il y a certes un bassin d’acheteurs potentiels de maisons et de condos, mais plus de 35 % des gens intéressés ont exprimé le désir de vivre dans un logement locatif. Au niveau de la volonté, toutes les classes sont au rendez-vous, mais, dans l’état actuel du marché, il faudra un peu forcer les choses pour réaliser la mixité sociale. Bref, ça va prendre du logement social sous toutes ses formes si on veut répondre à tous les besoins exprimés et non seulement à la « demande solvable ». Une démarche floue C’est en décembre dernier, lors de la clôture du 2e Colloque sur l’innovation en architecture organisé par la Ville de Québec, que l’appel de propositions préliminaires pour le nouvel écoquartier a été lancé. C’est dans ce document que la Ville affirme vouloir intégrer « les principes du développement durable » dans ce projet. Or, le développement durable comprend des volets environnementaux, économiques et sociaux. En réaction à ce colloque sur l’innovation, auquel il n’avait pas été invité, Louis-H. Campagna, le président du conseil de quartier Saint-Roch, a produit un communiqué rappelant les trois volets du développement durable. « Les colloques sur l’innovation ont été tenus à l’attention des promoteurs pour le volet économique et des professionnels pour le volet du design urbain et de l’architecture environnementale. Les conseils de quartiers n’ont pas été invités; nous obtenons notre information de façon unidirectionnelle via les médias, comme tout le monde. À quel moment et de quelle manière compte-t-on se préoccuper de la réussite sociale des écoquartiers de Québec ? », se demandait-il. Sceptique, l’organisme de consultation soulignait par la même occasion qu’on ne compte qu’une seule phrase sur la mixité sociale dans le document explicatif de 22 pages qui accompagnait la pochette de l’appel de propositions préliminaires. La Ville s’inspire largement de l’écoquartier de Hammarby en Suède pour ses projets à la Pointe-aux-Lièvres. Or, il ne s’agit pas exactement d’un succès sur toute la ligne. Comme le soulignaient plusieurs intervenants au colloque sur l’innovation, dont Charles Marceau de la Ville, le volet de la mixité sociale est un échec dans ce cas. De plus, le maire avoue que la municipalité a complètement changé son fusil d’épaule à la Pointe-aux-Lièvres et qu’elle pense maintenant « en fonction des attentes des jeunes tekkies et des jeunes artistes de Saint-Roch ». Quelle sera la priorité, la mixité sociale ou la « clientèle jeunesse » ? « Comment va-t-on réussir la mixité sociale de l’écoquartier de la Pointe-aux-Lièvres si le modèle européen dont on s’inspire a, semblerait-il, échoué ? », se demandait Louis-H. Campagna en décembre. Éviter les erreurs Pour préserver la mixité sociale de Saint-Roch, le conseil de quartier a décidé d’être proactif. D’une part, il demande incessamment, sans succès jusqu’à maintenant, que la Ville se donne des cibles en matière de mixité sociale, de logement abordable et d’habitation collective. D’autre part, il veut être consulté et participer avec les citoyens à l’élaboration du projet d’écoquartier. Le conseil de quartier n’a jamais eu de réponse formelle de l’arrondissement de La Cité – Limoilou à une lettre posant une douzaine de questions allant dans ce sens. Seule l’élue du district des Faubourgs a daigné répondre au conseil en fournissant une carte détaillée du logement social déjà existant dans le quartier. Pour Mme Gilbert, il est prématuré de parler d’un « plan de développement du logement social » à la Pointe-aux-Lièvres. À ce jour, il n’y a toujours pas eu de présentation formelle du projet d’écoquartier au conseil de quartier. Or, comme nous le soulignait Louis-H. Campagna en entrevue, « on ne peut pas créer une communauté sur la table à dessin d’un architecte ». Devant le silence de la Ville, le conseil de quartier a décidé de créer un comité de travail sur la mixité de l’offre de logement dans le quartier Saint-Roch avec la Table de quartier l’EnGrEnAge et le groupe de ressources techniques SOSACO (GRT). Le GRT s’est d’ailleurs déjà mis à l’ouvrage et compte déposer plusieurs projets à temps pour la date limite du 30 juin. « Quand on parle de mixité sociale, on parle de toute une gamme d’offres de logements pour toutes sortes de ménages. On ne parle pas uniquement de HLM, mais aussi d’OBNL, de coopératives et de formules d’accession collective à la propriété comme le co-habitat », précise M. Campagna. Des projets de coop dans les cartons « On travaille un peu à l’envers », reconnait Sylvie Naud, directrice du développement à SOSACO. Normalement, il y aurait un ou des groupes de personnes intéressés à vivre dans l’écoquartier qui travailleraient sur les projets. Or, ce n’est pas le cas actuellement. « Le conseil de quartier en est à mobiliser des comités de requérants et requérantes pour qu’il y ait du logement social à la Pointe-aux-Lièvres, mais il faut d’abord se tailler une place dans le projet », indique M. Campagna. Dans un monde idéal, des espaces seraient réservés au développement de projets sociaux pour que ce soit travaillé par les citoyens et les citoyennes. « On devrait former des comités de requérants et requérantes et des focus groups de personnes intéressées à vivre là pour voir ce qui intéresse réellement les gens », pense Mme Naud. Selon Sylvie Naud, il y a une ouverture de la part de la Ville à intégrer des projets de coopératives d’habitation dans l’écoquartier de la Pointe-aux-Lièvres, mais les autorités seraient plutôt froides à adopter une cible ferme et précise. Le GRT travaille avec la revendication des citoyens et citoyennes, soit l’inclusion de 30 % de logements sociaux, « mais la manière d’y arriver est de développer plusieurs projets pertinents qui, ensemble, vont permettre d’atteindre cette cible », précise-t-elle.


Qu’est-ce qu’un écoquartier? Un écoquartier est construit selon les principes du développement durable afin de réduire son empreinte écologique. Voici quelques critères qu’un écoquartier doit rencontrer, selon le site Web de la Ville: architecture innovatrice et durable; diminution de la consommation d’eau potable et gestion des eaux de pluie; utilisation de nouvelles technologies pour l’efficacité énergétique; aménagement d’espaces verts et plantation d’arbres afin de contrer les ilots de chaleur; gestion intégrée des matières résiduelles; mixité des fonctions; promotion du transport actif. Source : www.ville.quebec.qc.ca/environnement/urbanisation/ecoquartiers/ == Extrait du numéro d'été 2011 du journal l'Infobourg

Quelle mixité sociale dans les écoquartiers?