Chanson de Paul Anka, 1957 Par Malcolm Reid Le restaurant Diana est fermé et la fermeture de cette institution vaut bien un récit, une évocation. J’ai appelé Madame Koula Aaron à sa maison à Sainte-Foy et je lui ai dit que nous étions tristes de ne plus avoir son restaurant dans notre quartier. – C’est bien, dit-elle. Merci! Mais ça va rouvrir dans quelques semaines. Je ne peux pas en dire plus. – Mais vous, vous prenez votre retraite? – Moi, je prends ma retraite. Et juste comme j’achevais mon article, une affiche est parue dans la fenêtre noire du restaurant: « Le restaurant Diana se refait une beauté. Nouvelle administration, Frank et Alexandre. » Ça voudrait dire qu’on conservera le nom Diana ? * * *

Sur le mur du restaurant Diana, il y avait les trente premiers permis de boisson délivrés par les gouvernements Duplessis et Lesage. On apprenait ainsi que le restaurant s’était ouvert après la Deuxième Guerre mondiale. Les propriétaires étaient un couple d’immigrants grecs, monsieur et madame Aaron. Ils faisant fonctionner le café ensemble. C’était un café canadien, offrant steak, hamburger, pouding au riz, etc. Les patates frites de cette époque du Diana étaient spécialement impressionnantes: larges, longues, légèrement brunies. J’ai souvent songé au fait que dans les premières années du Diana, une guerre civile faisait rage en Grèce. Quand les armes se sont tues, en 1949, le Diana avait alors cinq ans. Le jeune couple avait eu la chance d’être déjà établi au Canada et de ne pas vivre les bombes et les mitraillettes. Vers 1980, le couple, devenu vieux, a quitté la scène, et leur fils John a pris la relève. John a épousé une belle brune arrivée de l’île de Naxos, en Grèce. C’était Koula. John, Québécois de naissance, était un mince et énergique cuisinier de pizzas. Dans les nuits hippies de Québec, on voyait souvent John ou Koula dans la vitrine du Diana, en train de flipper et de pétrir la pâte avant de la mettre au four. La pizza était désormais en vedette au Diana et quelques plats grecs gagnaient en popularité: pikoulia, souvlaki, spanakopita, etc. John et Koula ont fait des changements. Les vieilles cabines, avec leurs crochets de nickel pour les manteaux, ont été abattues. De belles banquettes modernes les ont remplacées. Il n’y avait pas beaucoup de place pour improviser avec des éléments de décor moderne au Diana! Le restaurant était si étroit, un long corridor allant vers l’arrière, où se trouvait la mystérieuse cuisine. La famille semblait aimer la petite taille de leur café, l’accepter, ajoutant seulement une salle à dîner en haut pour l’heure du lunch. John est mort jeune, laissant Koula seule en charge pendant plusieurs décennies. C’était l’emplacement qui était l’atout, ainsi que le menu varié et les prix modestes. Des écrivains, moi le premier, venaient y écrire des fois. Mais le plus souvent, ce sont des ados qui y venaient à la fin de leur sortie au théâtre. Ou des hippies des années 1970. Ou des syndicalistes en congrès au Hilton. Ou des touristes de Saskatoon. Ou des téléphonistes de chez Bell et des profs de chez O’Sullivan. La famille Aaron était très « family values ». Elle a gardé le restaurant pluraliste et n’a pas encouragé un look particulier. Elle a été « open » et chez Diana la chasseresse vierge (on voyait au menu le portrait de cette déesse qui a probablement donné son nom au restaurant), gais et straights ont toujours été les bienvenus. Une nouvelle génération poussait. John et Koula ont eu beaucoup d’enfants, qui sont aujourd’hui dans la trentaine. Il y a Flora, qui a servi aux tables longtemps, puis qui s’est mariée avec un citoyen grec et s’est installée près d’Athènes. Il y a sa sœur Marina, qui s’est mariée et a eu des enfants, mais qui est revenue servir aux tables après s’être absentée un moment. Et il y avait le fils de la famille, Louis. * * * Une nuit, ce printemps, Louis était en devoir au café, et moi je lisais dans une des cabines du côté ouest, sous le tableau de Yukio Tanobe où on voit un autre café Diana, à Montréal. Un jeune homme arriva avec son accordéon. L’ambiance était « 400e ». «Est-ce que je peux jouer quelque chose?», dit-il. Louis hocha la tête. Le Diana n’avait jamais présenté de spectacles avant. Celui-ci était pour trois personnes et était un chant du cygne. Louis ne semble pas avoir décidé de donner un deuxième siècle d’Aaron au Diana! Les Aaron ont vendu le petit resto sympa du quartier. Nous nous demandons pour quel style le successeur optera. Nous savons que les chaînes comme McDo et Tim Horton prennent aujourd’hui la fonction snack-bar dans nos quartiers. Le restaurant du coin ne semble pas vouloir survivre au 21e siècle, même si le Diana a été rempli jusqu’à la fin. Saint-Jean-Baptiste a ainsi résisté aux chaînes. Même si la chaîne granola «Le Commensal» est dans le quartier et malgré que deux restos locaux soient devenus des chaînes, Chez Victor et la Piazzeta, nous n’avons toujours pas de Mikes, de Burger King ou de Colonel Sanders. Mais aujourd’hui, la résistance est plus dure, je pense. == Extrait de l'édition de décembre 2008 du journal l'Infobourg

« Stay by me, Diana! »