À l’occasion du 400e anniversaire de la ville de Québec, la Conspiration dépressionniste nous lance un défi : accepter de nous regarder en face Tant de sornettes ont été débitées cette année sur le thème de la belle ville de Québec qu’on finit par les croire et par la voir comme telle. C’est qu’on ne regarde pas assez ce qu’on voit et qu’on ne lit pas assez ce qui nous est offert. Car au beau milieu des festivités du 400e est apparu un livre écrit justement pour nous remettre les yeux en face des trous. Son titre devait être Québec, ville laide, mais peut-être pour montrer que le propos du livre dépasse largement l’aspect esthétique de la question, les auteurs ont préféré le titre Québec, ville dépressionniste. Publié par un collectif qui anime incidemment la revue La Conspiration dépressionniste, le bouquin, écrit sur le ton de l’ironie sérieuse, pourra (une fois lu) se ranger auprès de ces incontournables sur la ville de Québec de l’après rénovation urbaine que sont Une ville à vendre (Rapport EZOP, 1972), Promoteurs et patrimoine urbain (Jean Cimon, 1991) et La Comédie urbaine de Québec (François Hulbert, 1994). L’argument du livre est le suivant. Dès qu’une bévue urbanistique ou socio-culturelle devient possible sur son territoire, la ville de Québec semble avoir découvert l’art de la réaliser dans son achèvement le plus intégral. Au-delà des clichés cuculs habituels qui se rapportent le plus souvent à son site exceptionnel, Québec donne l’image d’une ville aliénée au possible qui entretient le culte de la réaction «libartaire» où les radios-poubelles et les insultes arthuriennes tiennent lieu de culture populaire et, pour certains, de culture tout court. De peur de s’assumer comme différente, la ville se soumet avec zèle à la moindre pression politique ou économique extérieure. À preuve, son engouement pour le conservatisme albertain, son à-plat-ventrisme face au lobby de l’industrie automobile et sa soumission aveugle aux volontés de l’industrie touristique «créatrice de jobbines». La quétainerie urbaine mur à mur qui en résulte la confinerait à une insignifiance de type «red neck» dans laquelle elle se complaît. On parle ici d’une insignifiance comme celle d’une ville moyenne parmi d’autres avec son Réno-Dépôt, ses Wal-Mart, ses Macdo et ses Tailgates, une ville qui pense se démarquer avec sa descente Red Bull à tombeau ouvert en plein village d’antan (côte de la Montagne). En somme, un gros Drummondville moins plat, mais plus plate. Aussi, Québec serait devenue la ville par excellence de la xénophobie la plus pernicieuse, des activités culturelles les plus kitschs et des navets architecturaux et urbanistiques les plus accomplis. Les exemples abondent: l’exode et la démolition de feu le quartier chinois, l’antisémitisme ambiant et l’exode de feu le quartier juif à Saint-Roch, les Fêtes costumées de la Nouvelle-France à Disney-Place-Royale, le très oubliable campus de l’Université Laval avec ses initiations insipides et son département de foresterie Kruger, le Colisée Pepsi, la colline parlementaire avec le lourd complexe Marie-Guyart et le sombre radiateur de la Grande-Allée, l’hôtel Palace Royal avec ses palmiers en plastique et le Nouvo Saint-Roch coiffé de son invraisemblable hôtel Pur, le boulevard Hamel et son Camping Canadien et, pourquoi pas, les boulevards Sainte-Anne et Pierre-Bertrand et le chemin Quatre-Bourgeois. J’en passe, et des «plus» pires, comme le Carnaval-Monsieur-Christie qui, pour le prix kitsch, remporte la totale. En prendre et en laisser Tout ça manque parfois de nuances au point où l’envie peut nous prendre de défendre les quelques bons coups réalisés ici. Comme ce quartier Saint-Roch, à mes yeux un lieu héroïque qui, à l’aide de sa falaise bien sûr, mais aussi par l’opposition farouche de ses habitants, a réussi dans les années 70 ce que ni Boston, ni Toronto, ni Chicago, ni la plupart des villes d’Amérique du Nord n’ont réussi: stopper la construction de toutes les autoroutes –il y en avait cinq– qui fonçaient vers le centre-ville. Bon, le Saint-Roch du bon peuple a fini par succomber sous les coups que lui assénaient ses propres édiles, mais quel exemple de résistance populaire quand même! Et que penser de cette cour de l’école primaire Saint-Jean-Baptiste en plein centre-ville, que le livre présente comme un lieu de violence raciste où tous les enfants qui n’étaient pas pauvres, blancs et «nés à Québec de famille monoparentale» se faisaient tabasser, sinon casser la gueule. Selon certains anciens, «il faut en prendre et en laisser». Les enfants, paraît-il, n’étaient pas plus cruels là qu’ailleurs. Mais, somme toute, la lecture de Québec, ville dépressionniste s’avère le contrepoids essentiel à tous ces livres beaux et gentils, financés par la Commission de la capitale nationale ou l’organisation du 400e, qui portent aux nues la ville-objet-pour-consommation-touristique en donnant allègrement dans le cliché et le chromé. Du reste, une note en page de l’éditeur nous annonce que la liberté d’expression des auteurs de Québec, ville dépressionniste n’a été entachée d’aucune subvention, ni de la SODEC, ni du Conseil des arts du Canada, ni du gouvernement du Québec. Un vrai livre quoi! == Extrait du numéro d'octobre 2008 du journal l'Infobourg.

Critique de livre : Québec, ville dépressioniste