Par Nadine Davignon Le 20 juin dernier se tenait une consultation publique sur les critères d’aménagement proposés pour l’îlot d’Aiguillon, situé au coin des rues d’Aiguillon et Honoré-Mercier. Les citoyens-nes sont venus-es en grand nombre exprimer leur désaccord avec la proposition de la Ville qui aurait permis la construction d’un édifice à bureaux de grandes dimensions à cet endroit. Construire n’importe quoi? Actuellement, lorsqu’un propriétaire souhaite construire ou rénover un bâtiment, il doit obtenir un permis. Ce permis lui donne le droit de construire selon les règles établies par le zonage du terrain en question. Jusque là, pas de problème. Il arrive cependant qu’un propriétaire désire construire un bâtiment qui ne respecte pas ces normes. Impossible? Pas nécessairement. En demandant une modification au règlement de zonage, il pourrait être autorisé à construire son projet en toute légalité. Dans le cas de l’îlot d’Aiguillon, le zonage actuel permet de construire un édifice résidentiel d’une hauteur de 13 mètres (quatre étages) avec des commerces au rez-de-chaussée. Le propriétaire juge que ce type de construction ne serait pas rentable. Aussi a-t-il fait préparer des plans pour un édifice qui inclurait du stationnement souterrain, des commerces, des bureaux et quelques condos, le tout sur une hauteur d’environ 25 mètres. Faire accepter un projet Dès que son idée est précisée, le promoteur doit faire une demande de permis. Il soumet son projet à la Commission d’urbanisme et de conservation qui a pour mandat de préserver le caractère patrimonial de la ville en veillant au respect de l’apparence et de la symétrie des constructions. C’est elle qui reçoit et approuve les demandes de permis de construction, de rénovation ou de démolition. Le service de gestion du territoire examine la conformité de la demande et l’achemine au conseil d’arrondissement. Lorsqu’un projet ne respecte pas le règlement de zonage, le service de gestion du territoire peut proposer un amendement au règlement de zonage. La modification repose sur des critères de design et d’aménagement qui sont définis par la commission, de concert avec le conseil de quartier. Cette modification doit être présentée aux citoyens-nes lors d’une consultation publique, recommandée par le conseil de quartier et ensuite entérinée par les élus-es du conseil d’arrondissement. La partie n’est pas encore gagnée. Le projet d’amendement au règlement est préparé et il est publié (avis dans les journaux). Les citoyens-nes peuvent alors signer un registre pour demander la tenue d’un référendum qui aura force décisionnelle quant à l’adoption du règlement. Le nouveau bâtiment devra être construit en fonction des paramètres qui y sont établis. Dans le cas de l’îlot d’Aiguillon, le conseil de quartier a recommandé de refuser les amendements au règlement de zonage. Cela a pour effet de bloquer le projet dans la forme présentée par les architectes. Rien n’empêche toutefois le propriétaire de construire selon les règles du zonage actuel. Quel est le problème? Le règlement de zonage fixe des normes qui s’appliquent uniformément à des secteurs du territoire. On identifiera par exemple les secteurs industriels, les parcs et les secteurs résidentiels. Certains règlements peuvent assouplir ou préciser les paramètres déterminés dans le règlement de zonage. Il peut par exemple être justifié de permettre la construction de commerces à proximité de secteurs résidentiels. Mais idéalement, on conserve le plus possible l’unicité des secteurs pour éviter que des usages incohérents ne se côtoient (ex.: une école à côté d’une usine). Or, la loi ne prévoit aucune limite à la quantité d’amendements pouvant être acceptés sur un territoire donné. On se demande si à la longue, l’accumulation de modifications au zonage pourrait carrément transformer le quartier. C’est sans doute ce qui arriverait sans les groupes qui veillent au grain. L’impact cumulatif des projets n’est jamais réellement examiné. À cet égard, le fait que la Ville semble considérer l’îlot d’Aiguillon comme un «projet Honoré-Mercier» inquiète. Est-ce que peu à peu, les nouvelles constructions sur la côte d’Abraham pourraient créer une muraille enserrant le faubourg, cachant la forme et les proportions traditionnelles des bâtiments? Tel qu’il a été exprimé par des citoyens-nes lors de cette soirée de consultation sur l’îlot d’Aiguillon, il semble que plusieurs promoteurs aient déjà tenté de contourner les règles de zonage au moyen d’amendements. Les procès verbaux du conseil d’arrondissement en font foi, pour des cas de petits hôtels (coin Saint-Jean/d’Aiguillon), de couettes & café ou encore pour les terrasses Maisonneuve (sur René-Lévesque près de Salaberry) par exemple. Ce qui dérange aussi, c’est que les demandes d’amendements surviennent une à la fois, goutte à goutte. Alors, malgré l’existence d’un règlement de zonage, les citoyens-nes doivent constamment rester aux aguets pour défendre leur quartier. Aucune parcelle n’est vraiment protégée. La longévité d’organismes comme le Comité populaire Saint-Jean-Baptiste est malheureusement le reflet de cette réalité: la protection de la qualité de vie des citoyens-nes semble être un combat sans fin. Dans notre société où la notion de propriété privée est bien ancrée, il semble en effet que le droit d’un propriétaire à construire sur son terrain sera encore longtemps confronté à celui des citoyens-nes de vivre dans un milieu qui réponde à leurs besoins. Les constructeurs ne réalisent pas toujours qu’un projet ne se réalise pas en vase clos. Il a des impacts sur ce qui l’entoure, et parfois bien au-delà des voisins immédiats. L’îlot d’Aiguillon est un bon exemple à cet égard. Permettre la construction de nouveaux bureaux et stationnements aurait engendré une circulation accrue dans ce secteur qui est déjà surchargé. Les solutions à la circulation de transit sur la rue d’Aiguillon identifiées lors de précédentes consultations publiques se voyaient compromises par un tel amendement au zonage. Cela aurait balayé du revers de la main le résultat de nombreuses années d’acharnement, de quoi perdre confiance en nos instances démocratiques. Un peu d’espoir Toutes ces procédures d’amendements aux règlements sont coûteuses en énergie et en ressources. Ce sont de longues batailles, tant pour les promoteurs que pour les citoyens-nes. Considérant la façade de l’église Saint-Vincent-de-Paul qui, par un ultime recours, tient toujours le fort, on se demande combien de fois encore les promoteurs et les citoyens-nes devront s’opposer, plutôt que de réellement développer ensemble des projets profitables et porteurs pour la collectivité. Utopie? Les citoyens-nes ne sont pas des empêcheurs de tourner en rond, ils sont simplement en faveur de projets de développement respectueux de leur milieu de vie. == Extrait du numéro de juillet 2007 de l'Infobourg

Encore un cas de zonage à la pièce