Par Gabrielle Verret

Crédit photo : Annie Aubin, Clinique Droit de cité

Alors que les chiffres de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) indiquent un taux d’inoccupation extrêmement bas pour Québec, de 0,9 %, et un prix moyen des loyers considérablement haut, soit de 1 040 $ pour un 4 ½, la cause numéro un de l’itinérance est la crise du logement, dit-on. Au même moment où cette dernière prend une tournure presque historique, on assiste à une augmentation notable de la judiciarisation des personnes en situation d’itinérance.Le 18 janvier dernier avait lieu l’événement Judiciarisation de l’itinérance à Québec, parlons-en ! organisé par la Clinique Droit de cité et l’Observatoire des profilages (ODP). Une quarantaine de personnes étaient présentes. Nous avons pu assister au lancement du rapport de recherche de Céline Bellot, directrice de l’Observatoire des profilages, ainsi qu’à un panel fort intéressant, réunissant divers·e·s expert·e·s du milieu (Maxim Fortin, coordonnateur de la Ligue des droits et libertés - Section de Québec ; Maître Florence Boucher-Cossette, avocate criminaliste ; Marc-Antoine Guillemette-Cloutier, intervenant social de la Clinique Droit de cité).L’ODP a notamment pour mission de développer de nouvelles connaissances sur les différentes expériences de profilage dans le but de venir influencer les discours politiques et juridiques et d’influencer les pratiques des personnes intervenant dans le milieu. Ainsi, l’ODP est composé de chercheur·se·s, de partenaires communautaires et institutionnels et d’étudiant·e·s.

Des données accablantes

Le nouveau rapport de l’ODP, Judiciarisation de l’itinérance à Québec: des constats de plus en plus alarmants, a permis d’analyser les constats d’infraction remis entre le 1er janvier 2013 et le 30 juin 2022 à des personnes ayant donné une ressource d’hébergement en itinérance comme adresse postale. Ces constats ont été émis en vertu de règlements municipaux de la Ville de Québec et du Code de la sécurité routière. Il s’agit d’une partie seulement des constats remis à des personnes en situation d’itinérance qui ont été analysés, car d’autres personnes ont pu donner d’autres adresses non comptabilisées. Ce rapport fait suite à une première étude ayant été menée en 2011, faisant l’état des constats d’infraction entre 2000 et 2010 et dressant un premier portrait de la judiciarisation des personnes en situation d’itinérance à Québec.

Une augmentation de la judiciarisation des personnes en situation d’itinérance

Tout d’abord, non seulement on compte une augmentation importante des constats d’infraction remis à des personnes en situation d’itinérance entre 2000 et 2022, mais il est possible d’observer une surreprésentation de cette population dans les personnes recevant des constats d’infraction.Ainsi, en 2021, les personnes en situation d’itinérance ont reçu environ 22 fois plus de constats d’infraction qu’en 2000, soit 1 577 constats versus 71. De plus, en 2020, une personne sur 5 qui recevait un constat d’infraction était une personne en situation d’itinérance. L’itinérance visible touchait, dans la région de Capitale-Nationale, 535 personnes en 2018 et 726 personnes en 2022, ce qui représente une augmentation de 36 %. La population générale de la Capitale-Nationale était, quant à elle, composée de 771 611 personnes en 2022, ce qui fait en sorte que la population en situation d’itinérance représentait 0,09 % de la population globale, alors que 20 % des constats d’infraction leur étaient remis.

Le profilage social, c’est quoi au juste ?

La judiciarisation signifie de recourir au système judiciaire, entre autres à la police et aux tribunaux, pour régler des litiges et contraindre certains comportements socialement inacceptables. Quant au profilage social, il peut être défini comme le fait qu’une autorité exerce tout type d’action de façon discriminatoire envers une personne en vertu de sa condition sociale. Selon la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), le concept peut être défini comme le fait que les personnes en situation d’itinérance sont surreprésentées dans le système judiciaire pour diverses raisons : « le recours des policiers à la menace de donner des contraventions, le contrôle abusif, la vérification de l’identité des personnes, une surveillance ou présence policière démesurée dans les lieux fréquentés par les personnes marginalisées, des interpellations nombreuses et des incitations au déplacement territorial, ainsi que différentes formes d’abus verbaux et physiques » (CDPDJ).Il est possible de faire un lien entre le profilage social et le profilage racial, car dans le deuxième cas de figure, ce sont des personnes issues d’une minorité ethnique et/ ou visible qui vivent de la discrimination de la part d’une autorité. Évidemment, l’oppression peut être double, c’est-à-dire qu’une personne en situation d’itinérance qui est issue d’une communauté autochtone, par exemple, est plus à risque de subir de la discrimination de la part des autorités.

Lieu des infractions

Dans le rapport de l’ODP, on rapporte que plus de 9 constats sur 10 ont été remis à des personnes en situation d’itinérance qui se situaient dans l’arrondissement de La Cité-Limoilou. Les quartiers où le plus de constats d’infraction ont été remis sont respectivement Saint-Roch (5 463), Vieux-Québec-Cap-Blanc-Colline parlementaire (3 092), Saint-Sauveur (631) et Saint-Jean-Baptiste (657). Certain·e·s expert·e·s dénotent un lien entre la gentrification d’un quartier et/ou la volonté que ce dernier devienne touristique et l’augmentation de la judiciarisation des personnes en situation d’itinérance dans celui-ci.

Caractéristiques des personnes ayant reçu des constats d’infraction

Toujours selon le rapport de l’ODP, environ 79,7 % des constats d’infraction remis à des personnes en situation d’itinérance entre 2011 et 2022, dans la ville de Québec, ont été remis à des hommes, 11,8 % à des femmes, et pour 8,5 % des constats, le genre était inconnu. Il n’existe pas encore de données pour les personnes issues de la diversité sexuelle et de la pluralité des genres. De plus, le rapport souligne que la population en situation d’itinérance vieillit, ce qui se reflète dans l’âge des personnes ayant reçu des constats. Entre 2011 et 2022, il y a eu une augmentation flagrante des constats remis à trois groupes d’âge en particulier : pour les 30-39 ans on dénote une augmentation de 806,6 %, pour les 40-49 ans, une augmentation 623,6 %, et pour les 50 ans et plus, une augmentation de 650,7 %.

Motifs reprochés

Toujours dans le même rapport, les motifs d’arrestation reprochés les plus fréquents étaient : être en état d’ivresse/consommer de l’alcool (38 %); flâner/vagabonder (23 %); troubler la paix/causer du désordre/du bruit (12 %); injurier/insulter/menacer (11 %). Il est aussi possible d’observer une différence entre les hommes et les femmes dans les motifs de remise d’un constat. Les femmes ont reçu majoritairement des constats pour avoir troublé la paix, alors que chez les hommes, on rapporte que la catégorie d’infraction la plus importante a été l’état d’ivresse. Le rapport dénote donc que le fait d’être une femme en situation d’itinérance et d’être vue dans la rue, dans l’espace public, serait judiciarisable, car cette présence serait dérangeante. On peut supposer que , les femmes sont plus nombreuses à Québec à dormir dans un parc que dans d’autres régions notamment par manque de places dans les ressources pour les femmes, mais aussi parce qu’elles s’y sentent possiblement plus en sécurité.Entre 2013 et 2022, la Cour municipale attendait encore un montant de 3 344 492 $ de la part de personnes qui peinent à répondre à leurs besoins vitaux. Devant cette situation à la fois désolante et absurde, l’ODP propose plusieurs solutions à ce cul-de-sac auquel se heurte la Ville de Québec et les forces policières, notamment le fait de renforcer les réponses sociales et communautaires lors de soi-disant délits commis de la part des personnes en situation d’itinérance.Le rapport de l’ODP est disponible en ligne à l’adresse suivante : https://www.observatoiredesprofilages.ca/wp-content/uploads/2024/01/Judi...

 

Une croissance de la judiciarisation de l'itinérance à Québec