Par Fabien Abitbol

Mardi 23 mai, c’était le jour de la Marche nationale pour un Québec sans pauvreté. Ça se passait dans le faubourg, ça me concernait, mais trop fatigué je suis resté chez moi. Et bien m’en a pris! Depuis début 2021, je ne peux plus parler comme un humain « normal ». Ayant subi une laryngectomie totale (*), outre mes difficultés à m’alimenter j’ai au quotidien des difficultés à parler au téléphone ou en visio, ainsi que dans un environnement bruyant. En outre, j’ai eu comme conséquences de la chimiothérapie et d’une chirurgie réparatrice des problèmes de motricité.

Je me suis donc fort logiquement tourné vers les services du ministère de la Santé et des Services sociaux. Pour faire un dépôt de demande d’aide nous étions encore avec des protocoles Covid. Ne me sentant pas capable de répéter à plusieurs reprises mes réponses à la fonctionnaire du guichet, j’ai demandé à être reçu à part dans un box. Ça a pu se faire et la dame a su être patiente, et assez attentive pour ne pas trop me faire parler.

Mais lorsque je lui ai demandé une adresse courriel, elle m’a dit que c’était impossible et que tout se faisait par téléphone ou par écrit. Puis mon dossier a quitté les Façades de la gare pour partir au-delà de la Canardière. Donc au premier courrier de leur part que je n’ai pas compris, j’ai appelé et demandé une boîte courriel. Non monsieur nous n’avons pas ça.

Puis un jour j’ai reçu un courrier comme quoi mon dossier dépendait d’un bureau à Lac-Etchemin. Un service spécifique pour les allocataires de la solidarité sociale (les personnes en CSE, contraintes sévères à l’emploi). Là je me dis que peut-être je vais avoir un service pour les personnes ayant des troubles de la parole. Même pas. Alors pour me faire expliquer quelque chose, je suis allé aux Façades de la gare à 14h01 (avant 14h l’ascenseur ne monte pas au 4e étage). Je suis tombé sur un fonctionnaire très patient et qui, faute de me trouver une adresse courriel, m’a trouvé un numéro de téléphone en 418, me permettant de passer une étape téléphonique en arrivant directement à Lac-Etchemin. Ce fonctionnaire a aussi communiqué avec ses collègues par clavardage pour comprendre mon cas, car il n’avait pas accès à mon dossier. Il m’a aussi donné du papier format légal pour rédiger un mot qu’il transmettrait par télécopie à ses collègues. Évidemment, outre expliquer un malentendu (des documents envoyés en 2022 et jamais parvenus à destination), j’ai demandé une adresse courriel.

Trois jours plus tard, j’obtiens gain de cause (mais pas d’adresse courriel). Quelques jours plus tard, on me demande un document que j’ai déjà fourni et un autre que je ne peux pas fournir avant fin juillet alors qu’ils le veulent pour le 12 juin. Ni une ni deux j’appelle le numéro en 418. Une dame dans un premier temps perplexe puis en voyant mon dossier très aimable. Elle m’explique que effectivement j’ai déjà répondu à un point et que je ne peux pas respecter la date du 12 juin. J’en profite pour lui glisser que je dois attendre quatre mois pour un autre document, elle me répond que ce sera plutôt cinq mois et que si je reçois un courrier il ne faut pas hésiter à rappeler. J’ose lui demander une adresse courriel, elle me répond qu’elle va transmettre à sa hiérarchie. C’est la première fois qu’on ne me dit pas que ça n’existe pas. Espoir. Nous étions le 19 mai, un vendredi. Passent le samedi, le dimanche et le lundi férié (journée nationale des Patriotes), arrive le mardi 23, jour de la marche pour un Québec sans pauvreté. En mauvais état, je décide de rester chez moi. Sur le coup des 13h, le téléphone sonne : une dame très aimable pour me donner l’adresse courriel du service qui s’occupe de mon dossier. Si j’étais allé à la marche, j’aurais loupé cet appel donc j’aurais dû appeler…

Ce ne serait pas à mon sens une violation du secret médical que de mettre une note au dossier des allocataires, non pas pour dire ce pourquoi ils sont en « contraintes sévères » mais quelles sont les conséquences de ces contraintes.

(*) cordes vocales coupées et reconstruction chirurgicale interne grâce à des prélèvements de tissus et peau à une jambe

Se battre pour être pauvre