L'église Saint-Jean-Baptiste va vraisemblablement fermer le 24 mai 2015.

Par Fabien Abitbol

Voici deux mois, le 20 février 2015, que l’abbé Pierre Gingras annonçait que, faute de moyens, l’église Saint-Jean-Baptiste allait vraisemblablement fermer le 24 mai, à l’occasion de la Pentecôte. Classé monument historique en 1990, l’édifice reconstruit après l’incendie de 1881 devra avoir une vocation autre que le culte.

Dès son annonce sur le blogue du presbytère (1), Pierre Gingras expliquait qu’« une poignée de catholiques ne pouvait pas supporter à elle seule la charge et l’entretien de cette église », représentant un montant de 150 000 $ à 180 000 $ annuels selon les sources, 175 000 $ selon le mot du curé. Un document archivé sur le site internet de l’Assemblée nationale (2) faisait état, en 2005, d’un déficit annuel de cent mille dollars pour la paroisse.

Ça fait un bail que l’église Saint-Jean-Baptiste est en sursis. En septembre 2004 déjà, Le Soleil s’en faisait l’écho (3) : « La fabrique espère prendre une décision le plus tôt possible », lisait-on à l’époque. Le Soleil indiquait par ailleurs que les cultes sont exemptés de taxes municipales et scolaires, « ce qui n’est pas [le cas] pour un propriétaire privé ou même un organisme communautaire ». Toutefois, un juriste expliquait récemment à L’Infobourg que des exemptions peuvent être accordées au cas par cas. Par conséquent, un projet qui séduirait la Ville de Québec et maintiendrait l’édifice ouvert au public pourrait profiter d’exemption de taxes.

Car l’ouverture au public, c’est ce que tout le monde, croyant ou non, semble espérer. Lors d’une récente conférence sur le tourisme local, organisée par le conseil de quartier quelques jours après l’annonce officielle de fermeture, une représentante de la Corporation du patrimoine et du tourisme religieux de Québec insistait sur l’importance d’horaires d’ouverture réguliers pour un bâtiment religieux, même déclassé (comme la bibliothèque St-Matthews). C’est à l’occasion de cette conférence que l’on apprit la date de sortie du Guide d’autovisite du Patrimoine religieux, fixée au 29 avril. Élaboré sur de longs mois avec l’aide du conseil de quartier, ce guide (papier) est édité par le Comité du patrimoine. Il propose au promeneur quatre circuits pédestres de quatre durées différentes au travers du quartier, pour mieux comprendre certains noms de rue, des lieux de culte convertis, ou – évidemment – l’église Saint-Jean-Baptiste, dont la fermeture n’était plus dans l’air du temps lors de la rédaction de ce guide.

Quel avenir pour notre église?

De la fermeture annoncée de l’église il fut question aussi lors du c.a. du conseil de quartier du 10 mars. La conseillère municipale Anne Guérette, par ailleurs architecte, estimait que ce « trésor patrimonial » au cœur du quartier est « bourré de potentiel ». Ajoutant qu’il était nécessaire de réfléchir à « une activité pour lancer la future vie de l’église », Mme Guérette indiqua que si pour certains la dernière messe qui aura lieu fin mai est un deuil, « un deuil, c’est aussi une renaissance » (4).

Jointe par téléphone le 10 mars, la députée de Taschereau Agnès Maltais, par ailleurs ancienne ministre de la Culture, ne s’est pas montrée particulièrement favorable à tel projet plutôt qu’à tel autre. Ce qu’il faut pour Mme Maltais, c’est un projet pour « unir la communauté ». Et, surtout, la députée péquiste estime avoir « besoin de temps » pour assimiler cette annonce-couperet de l’assemblée de fabrique.

Rencontré le 12 mars peu avant l’assemblée générale annuelle du Comité du patrimoine, Louis Dumoulin, qui en est le vice-président, indiquait que la priorité du Comité n’était pas de «sauver l’église» en tant que lieu de culte, mais de «mettre en valeur le patrimoine et le quartier». À titre personnel, au vu du caractère fragile et inflammable de l’édifice, il trouve dangereuse l’idée récemment émise par un enseignant de l’Université Laval de transférer à Saint-Jean-Baptiste les archives présentement hébergées sur le campus. En revanche, Louis Dumoulin pense que l’église pourrait être, par exemple, une bibliothèque qui contiendrait des ouvrages moins rares et précieux qu’un fonds d’archives.

Le 12 mars au soir se tenait l’assemblée générale annuelle du Comité du patrimoine. L’occasion d’apprendre que le bâtiment n’était pas seul classé, l’orgue l’étant aussi. Marie-Paule Robitaille, ancienne conservatrice du Musée de la civilisation, à la retraite depuis peu, fit savoir qu’elle avait entamé tout un travail de recensement de ce que l’église peut contenir. Son envie est de sauver les meubles, dans tous les sens de l’expression, et de recommander aux différents acteurs de la vie culturelle ou cultuelle des destinations pour telle ou telle pièce, en fonction notamment de son intérêt et de sa rareté. Il est important, selon Mme Robitaille, d’éviter de trop nombreuses étapes de déménagement au cours desquelles des objets ou des archives pourraient se détériorer, voire disparaître.

On apprit aussi lors de cette AG que, une fois l’église fermée (5), le diocèse (propriétaire) devra l’assurer et l’entretenir deux ans durant.

L’église doit revenir à la communauté

Du côté du Comité populaire Saint-Jean Baptiste, ce que l’on redoute surtout, c’est que les services communautaires offerts dans le sous-sol, notamment la banque alimentaire de la Société Saint-Vincent de Paul et le Groupe d’achats du Faubourg, soient obligés de déménager loin du cœur du quartier, faute de place. D’après l’abbé Gingras, la Société Saint-Vincent de Paul aurait commencé à chercher une solution de secours, mais en tout état de cause pourrait trouver refuge à l’église Saints-Martyrs-Canadiens.

Le ComPop s’inquiétait aussi du devenir du parvis de l’église « rénové à grands frais par la Ville », notamment dans le cas où une clôture serait installée. D’après ce que l’abbé Pierre a expliqué à Nicolas Lefebvre-Legault, le parvis ne sera pas ceint une fois la porte de l’église barrée. En revanche, il sera toujours nécessaire d’obtenir une autorisation pour l’occuper (par exemple pour la prochaine édition du Faubourg en saveurs).

Selon les chiffres du père Gingras, cité début février dans Le Soleil, seulement mille enveloppes étaient revenues à l’église, sur les 25 000 distribuées lors de l’appel aux dons de l’automne 2014 (6). De l’avis du ComPop, l’église a été de tous les temps financée par les habitants : ceux, croyants, qui versaient la dîme, ceux qui par la taxe locale ont contribué à ce que le lieu de culte en soit exonéré, et ceux qui depuis vingt-cinq ans que le monument est classé, contribuent par l’impôt provincial à 80 % à son maintien en état. L’idéal serait donc de trouver à l’église une nouvelle
« vocation » : musée, bibliothèque, centre communautaire, espace culturel ou patrimonial.

Reste que, sur les dix millions nécessaires à la restauration ou au réaménagement de l’église, il faudra trouver les deux premiers millions, auprès d’un ou plusieurs investisseurs. À l’issue de l’A.G. du Comité du patrimoine, Louis Dumoulin indiquait que l’assureur Industrielle Alliance (promoteur du projet Place Québec) cherchait à faire quelque chose à destination des habitants.

Notes :

(1) L’annonce de l’abbé Pierre est à lire sur http://www.jeandominique.org/fermeture-de-leglise-saint-jean-baptiste

(2) Émanant de l’assemblée de fabrique, la note de synthèse est archivée ici sur le site http://www.assnat.qc.ca/Media/Process.aspx?MediaId=ANQ.Vigie.Bll.DocumentGenerique_2855&process=Default&token=ZyMoxNwUn8ikQ+TRKYwPCjWrKwg+vIv9rjij7p3xLGTZDmLVSmJLoqe/vG7/YWzz

(3) On retrouve une archive sur http://www.quebecurbain.qc.ca/2004/09/02/leglise-saint-jean-baptiste-est-a-vendre/

(4) Mme Guerette, contactée par L’Infobourg à l’issue du CA du conseil de quartier, n’avait pas donné suite à notre courriel deux semaines plus tard, alors que ce sujet était rédigé. Jointe par courriel le 10 mars, le cardinal Gerald-Cyprien Lacroix n’avait pas non plus donné suite à notre demande d’entretien au 24 mars.

(5) La décision de fermeture doit être prise par l’évêché, qui a aussi le choix dans la date, et n’est pas tenu de suivre ce que la fabrique préconise. À l’heure où ces lignes étaient écrites, aucune annonce officielle n’avait été faite.

(6) Lire « L’abbé prie le gouvernement d’intervenir » sur le site du Soleil http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/societe/201502/01/01-4840393-eglise-saint-jean-baptiste-labbe-prie-le-gouvernement-dintervenir.php

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Extrait du numéro d'avril 2015 du journal l'Infobourg

L’église, c’est sacré : nous l’avons tous et toutes payée!