Par Nicolas Lefebvre Legault « Tout est sous contrôle, il n’y a pas de crise à (insérer le nom de la ville de votre choix). » Voici en gros comment titraient les journaux dans les jours et les semaines suivant le 1er juillet. Crise du logement? Quelle crise? Circulez, y’a rien à voir.

Une chance qu’il n’y a pas de crise du logement!! Dans l’ensemble du Québec, 1 748 ménages ont été déclarés admissibles au supplément au loyer d’urgence* cet été. Soit 598 de plus que l’an dernier. Au moment d’écrire ces lignes, malgré l’aide gouvernementale, seuls 1 323 de ces ménages avaient trouvé un logement, tandis que les autres cherchent encore. Dans la logique médiatique, l’intervention humanitaire aura sans doute permis « d’éviter le pire ». Et c’est peut-être ce qui fait dire aux médias et aux autorités qu’il n’y a « pas eu de crise ». La capacité d’indignation médiatique est très élastique. Il y a 3 ans, 400 ménages étaient sans logis le 1er juillet et tout le monde trouvait ça terrible. Aujourd’hui on en compte trois fois plus, et « il n’y a pas de crise ». Faut croire qu’on s’habitue à tout, même à l’intolérable barbarie du marché. Si être forcé de recourir à une organisation humanitaire comme la Croix Rouge pour héberger des centaines de ménages en catastrophe et aider des milliers d’autres à se trouver un logement, c’est « éviter le pire », j’aime mieux ne pas savoir c’est quoi « le pire » pour les médias et les gestionnaires de misère humaine. C’est sûr, on n’a pas vu de familles entières poussées à l’itinérance, comme dans la Ville Reine et les métropoles américaines. On n’a pas vu de scènes sensationnelles de pillage des biens de ménages jetés à la rue avec leurs affaires. La crise a été bien gérée pour ne pas gâcher le paysage, et éviter de donner à Québec, Montréal ou Hull des allures de Lima. L’Office municipal d’habitation de Québec a même été redoutablement efficace. Cent dix ménages ont été déclarés admissibles au supplément au loyer d’urgence dans la région de la Capitale-Nationale. Au moment d’écrire ces lignes, l’Office avait fermé les livres et allait jusqu’à refuser d’aider davantage de ménages sans logis, arguant que la « non-crise » et les budgets étaient dépassés. Comme par hasard, le gouvernement avait alloué 110 suppléments à la Ville de Québec. Ailleurs, ils ont débordé, mais pas ici où tout est si propre et si bien ordonné. Tant pis pour la pression sur les organismes communautaires et les ressources d’hébergement. À côté de la vache folle, du SRAS ou du black-out du Nord-Est, la crise du logement, c’est de la petite bière qui ne fait plus vendre de journaux. Sans mobilisation populaire et spectaculaire pour faire bouger les choses, les médias n’embarquent plus. Ils se disent sans doute que les gens sont habitués, qu’il faut leur montrer d’autre chose. Et puis, la Croix Rouge fait tellement bien sa job qu’elle a rendu la crise invisible. Aussi invisible que les refuges pour itinérants qui débordent en plein été. Invisible comme ces 17 personnes qui se sont fait refuser l’accès aux refuges pour itinérants de Québec, un soir du mois d’août. Invisible comme les pauvres le sont toujours quand ils ne se révoltent pas. * Le Supplément au loyer d’urgence est une aide gouvernementale temporaire, d’une durée d’un an, permettant aux ménages sans logis de ne consacrer que 25 % de leur revenus au loyer (le reste étant fourni par le gouvernement). == Extrait du numéro d'octobre 2003 du journal l'Infobourg.

Éditorial : Le confort et l’indifférence - La crise, quelle crise?